07
JUIL
2014

Les étudiants s’invitent au blogue : présentation juridique de la CCC ou 3C

 Le billet proposé dans le cadre du blogue BDE aujourd’hui est original. Ce billet vise à partager les résultats d’un travail réalisé par les étudiants de mon cours de Gouvernance de l’entreprise (DRT-6056). Dans le cadre de ce cours dispensé à la Faculté de droit, j’ai bénéficié du Programme d’appui au développement pédagogique 2013-2014 et y ait développé un projet intitulé : « Transformation de l’approche pédagogique du cours DRT-6056 pour un apprentissage actif ». Ce programme a permis la mise en place de méthodes d’apprentissage innovantes destinées à stimuler l’intérêt des étudiants. Il a ainsi été proposé aux étudiants non seulement de mener des travaux de recherche sur des sujets qui font l’actualité en gouvernance de l’entreprise, mais encore d’utiliser un format original permettant la diffusion des résultats. Le présent billet expose le résultat des recherches menées par mesdames Geneviève Binnette, Sophie Daba Sagne et Édith Lapointe. Leur travail mené durant l’hiver 2014 a porté sur les caractéristiques d’une nouvelle forme de société par actions apparue dans la province de la Colombie-Britannique : la Community contribution company. Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire leur synthèse que j’ai pu en prendre à l’évaluer.

 

Ivan Tchotourian

 

Entre organisme de bienfaisance et société par actions : la Community Contribution Company pour conjuguer profits et mission sociale

En mai 2012, le gouvernement de la Colombie-Britannique a adopté un amendement à la Business Corporations Act[1] afin d’introduire les premières assises d’une nouvelle forme d’entreprise sociale soit la « Community Contribution Company » (CCC ou 3C). La province devient ainsi la première à créer un tel modèle hybride d’entreprise, en vigueur depuis juillet 2013, suivie par la Nouvelle-Écosse en décembre 2012[2].

L’initiative fait suite à la publication du Action Plan Recommendations to Maximize Social Innovation in British Columbia par le Conseil sur l’innovation sociale de la Colombie-Britannique en mars 2012. Formé de représentants du milieu communautaire, gouvernemental et de l’entreprise, le Conseil avait été mis en place en janvier 2011 afin de conseiller le gouvernement de la province dans le dossier de l’innovation sociale[3].

 

La CCC dans l’ère de l’intérêt social

La CCC s’inscrit comme un nouveau modèle en réponse à la forte progression de l’intérêt social par les entreprises canadiennes. Déjà en 2005, le Royaume-Uni avait initié ce modèle type par l’adoption de la « Community Interest Company » (CIC) et en janvier 2010 aux États-Unis par la L3C. Malgré certaines distinctions entre les modèles, tous convergent au but premier de permettre la conjugaison des intérêts économique et social. La CCC se veut donc une nouvelle voie pour les actionnaires pour lesquels l’intérêt social de l’entreprise se retrouve au cœur de sa mission sans pour autant occulter la possibilité de faire des profits ce que n’offrent pas les organisations à but non lucratif.

Les nouvelles dispositions de la partie 2.2 de la Business Corporations Act précisent que « one or more of the primary purposes of a community contribution company must be community purposes »[4], lesquels sont définis comme suit :

 « […] a purpose beneficial to:

 a) society at large, or

b) a segment of society that is broader than the group of persons who are related to the community contribution company,

 and includes, without limitation, a purpose of providing health, social, environmental, cultural, education or other services, but does not include any prescribed purpose[5]. »

Cette nouvelle option de constitution d’une entreprise en CCC, est offerte également aux entreprises existantes dont les sociétés par actions. Ces dernières doivent en faire une demande expresse via un formulaire qui vise notamment à changer le nom de l’entreprise[6].

L’abréviation CCC doit faire partie de la désignation de l’entreprise laquelle est formée obligatoirement d’un minimum de trois administrateurs. Cette appellation signifie que l’entreprise comporte un but social sans toutefois bénéficier des spécificités des sociétés à but non lucratif telle l’exemption de taxes ou autres avantages consentis aux organisations de bienfaisance enregistrées.

 

Une structure innovante

La CCC se distingue des compagnies traditionnelles par la gestion de ses actifs. L’« Asset Lock »[7] impose un maximum de 40 % des profits annuels pouvant être redistribués à titre de dividendes et lors de la dissolution de la 3C, un minimum de 60 % des actifs doivent être attribués notamment à des coopératives de services communautaires ou à des organismes de bienfaisance.

 Dans un objectif de transparence, toute entreprise CCC doit annuellement publier sur son site internet, un rapport qui comprend notamment la rémunération des administrateurs lorsqu’elle est supérieure à 75,000$, les informations sur les dividendes déclarés, les sommes transférées à la communauté afférentes à la mission de l’entreprise. De même, les états financiers de la CCC, doivent être publiés à la suite de l’adoption à l’unanimité des membres du conseil d’administration[8].

L’introduction de cette structure innovante pourra certainement servir de véhicule pour une meilleure intégration des préoccupations touchant à la responsabilité sociale des entreprises. Entre la primauté actionnariale et la stakeholder theory, il sera intéressant d’observer, à travers de futurs cas jurisprudentiels, quelle sera la marge de manœuvre détenue par les administrateurs de la CCC pour prendre en compte les intérêts de toutes les parties prenantes au terme de leur obligation fiduciaire.

À mi-chemin entre l’organisme de bienfaisance et la société par actions sur le spectre de la structure organisationnelle, la CCC traduit sans nul doute le besoin existant de conjuguer intérêts économique et social tout en permettant l’accès aux mêmes sources de financement et d’opportunités de capitalisation que l’entreprise privée[9]. Reste à voir au cours des prochaines années si ce nouveau modèle prendra racine à l’échelle canadienne. Deviendra-t-il un réel levier d’investissement pour les actionnaires qui veulent contribuer à un engagement social sans perdre l’objectif d’un rendement financier ?

Pour en savoir encore plus

 

Mme Geneviève Binette

Mme Sophie Daba Sagne

Mme Édith Lapointe

Anciennes étudiantes du cours DRT-6056 Gouvernance de l’entreprise


[1] Bill 23, Finance Statutes Amendment Act, (Business Corporations Act), 4e sess, 39e lég, Colombie-britannique, 2012, en ligne: <http://www.leg.bc.ca/39th4th/1st_read/gov23-1.htm>.

[2] La Nouvelle-Écosse a plutôt opté pour l’appellation CIC « Community Interest Company » à l’instar de l’appellation du Royaume-Uni.

[3] Rapport du BC Social Innovation Council, Action Plan Recommendations to Maximize Social Innovation in British Columbia, Mars 2012, en ligne : <http://www.innovatebc.ca/documents/Social_InnovationBC_C.pdf>. L’un des objectifs poursuivi par le gouvernement de la Colombie-Britannique est la création d’emplois locaux par l’instauration de ce nouveau type d’entreprise.

[4] Business Corporations Act, SBC 2002, c 57, art. 51.92.

[5] Ibid, art. 51.91.

[6] Formulaire disponible via le lien suivant : http://www.bcregistryservices.gov.bc.ca/local/bcreg/documents/forms/form50.pdf.

[7] Un plafond (traduction libre).

[8] Jarvis Legal, « Community Contribution Company or C3s – New Hybrid Business Model in British Columbia (as of July 29, 2013) for Socially Minded Entrepreneurs», en ligne: <http://www.jarvislegal.ca/community_contribution_company.html>.

[9] D. C. K. Tang, « Community Contribution Companies: Canada’s First Purpose-Built Social Enterprise or Social Entrepreneurship Organizational Structure », Gowlings (March 2013), en ligne: <http://www.gowlings.com/KnowledgeCentre/article.asp?pubID=2818>.

Dominique Mannella est inscrit au doctorat sous la direction du professeur Ivan Tchotourian. Dominique Mannella est titulaire d’un baccalauréat en droit, ainsi que d’un Master of Arts (M.A.) de l’Université de Dublin Trinity College (Irlande). Il a également complété des études de droit à l’Université de Montréal (Canada) et à l’Université de Bologne (Italie). Par ailleurs, il est titulaire d’une maîtrise en droit des valeurs mobilières et réglementation des marchés financiers américains et internationaux (LL.M.) obtenue au Georgetown University Law Center à Washington D.C. (États-Unis). Durant son baccalauréat, Dominique Mannella a réalisé un stage de recherche à l’Ambassade du Canada de Dublin et a collaboré à la revue de droit intitulée Trinity College Law Review. Il a également travaillé à l’U.S. Securities and Exchange Commission Division of Enforcement durant sa maîtrise, œuvrant principalement dans l’équipe chargée de détecter, d’enquêter et de faire sanctionner les infractions aux lois fédérales sur les valeurs mobilières. Dominique Mannella a pratiqué le droit en litige commercial dans les cabinets New-Yorkais Tosolini & Lamura LLP et Bracken Margolin Besunder LLP et a passé les examens du Barreau de New York en 2013. Membre du CÉDÉ, il mène ses recherches dans les domaines du blanchiment d’argent (sous un angle préventif) et de la gouvernance d’entreprise. Il travaille actuellement comme auxiliaire de recherche et d’enseignement pour le professeur Ivan Tchotourian et a à son actif plusieurs publications. Il s'est récemment vu remettre une prestigieuse bourse du Fonds pour l'éducation et la saine gouvernance de l'Autorité des marchés financiers ainsi qu'un stage pour la poursuite de ses études au doctorat.

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