18
DéC
2014

Union européenne : Une directive sur les recours privés en matière de concurrence

Nous l’évoquons régulièrement dans ce blogue, l’Union européenne a entrepris une réforme courageuse de son droit de la concurrence pour offrir un recours effectif en réparation aux entreprises, aux consommateurs et aux personnes publiques victimes de pratiques anticoncurrentielles.

Le dernier acte majeur de la Commission européenne est la publication au Journal officiel de l’Union européenne de sa Directive « action privée », dont le nom complet est DIRECTIVE 2014/104/UE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 26 novembre 2014 relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne[1].

Cette directive est une avancée majeure du droit de la concurrence européen. Il va donner force au private enforcement du droit de la concurrence. Les victimes de pratiques anticoncurrentielles vont devenir de véritables acteurs du droit de la concurrence. Loin de l’image d’Épinal d’un droit de la concurrence fait pour le marché, l’évolution semble indiquer le passage d’une conception objective du droit antitrust européen à une conception subjective. Non pas que la mise en œuvre publique disparaisse, mais l’appui du recours privé est désormais officialisé.

Sans revenir sur le contenu[2], on peut rappeler que l’Union européenne s’attache à faciliter l’action en responsabilité civile des pratiques anticoncurrentielles par une série de mesures touchant à la preuve, à l’évaluation du préjudice ou encore aux délais de prescription.

Nous avons publié le 8 décembre dernier une note sur la décision de la Cour suprême dans l’affaire du cartel de l’essence relativement à la production de la preuve figurant dans le dossier criminel dans le cadre de l’action privée au Canada. Nous avons pu constater le conflit que génère cette connexité des procédures publiques et privées au Canada. A titre d’exemple, la directive européenne encadre spécifiquement les communications des pièces obtenues par l’autorité de concurrence. La directive montre que les dispositions de l’article 36 de la Loi sur la concurrence canadienne sont peut-être arrivées à leurs limites en 2014, prêt de 30 ans après l’adoption de l’article 36. L’affaire Jacques[3] a démontré qu’au Québec, le droit commun de la responsabilité civile, et notamment la procédure civile, pallient les carences de l’article 36 ou de l’article 29 dans le cadre précis de la communication des preuves en droit de la concurrence. La tendance indique que dans le cadre des recours privés au Québec, la Loi sur la concurrence devient sans utilité pour les victimes de cartels. S’il est heureux que les juges soient favorables aux victimes de pratiques anticoncurrentielles, il est discutable de voir le droit de la concurrence jouer un rôle secondaire au Canada alors qu’une disposition spécifique existe pour obtenir la réparation du préjudice concurrentiel. L’expérience internationale démontre qu’une mise à jour du recours privé canadien serait peut-être bienvenue en droit fédéral pour assurer la cohérence des recours privés et publics.


[2] Le lecteur peut prendre connaissance de la directive ou lire notre billet du 1er mai 2014 publié dans le présent blogue. Notez cependant que le contenu a légèrement été modifié depuis la version adoptée par le Parlement européen.

[3] Pétrolière Impériale c. Jacques, 2014 CSC 66.

Benjamin Lehaire, LL. D. (Université Laval) est docteur en droit privé et professeur en droit des affaires à l’École des sciences de l’administration de la TELUQ (Université du Québec). Il a obtenu son doctorat en cotutelle de thèse France-Québec avec l’Université de La Rochelle. Sa thèse portait sur l’action en responsabilité civile des victimes de pratiques anticoncurrentielles dans une approche comparative Canada/Europe. En 2015, il reçoit pour sa thèse une mention spéciale du jury lors du prix Jacques Lassier de la Ligue internationale de droit de la concurrence (Suisse). Il est l'auteur d'un ouvrage sur l'action en concurrence déloyale publié aux éditions Yvon Blais. Le professeur Lehaire participe également aux JurisClasseur du Québec. Ses recherches se centrent principalement sur le droit de la concurrence et ses liens avec le droit de la responsabilité civile et la protection des consommateurs. Ses travaux lui ont valu plusieurs subventions de recherches, notamment de la Fondation pour la recherche juridique.

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