29
MAR
2015

La fermeture des 133 magasins Target au Canada : la LACC comme outil de réorganisation commerciale (billet en collaboration avec Mme Émilie Rochette*)

En janvier dernier, deux ans à peine après l’apparition de la cible rouge au Canada, Target annonçait la fermeture de ses 133 magasins au pays. Ayant conclu qu’il ne serait pas possible d’en tirer des profits avant au moins cinq ans[1], le pendant canadien de la célèbre société américaine s’est placé à l’abri de ses créanciers en faisant appel au processus de réorganisation commerciale prévu à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies[2]. Ce processus étant méconnu du public, et souvent confondu avec celui de la faillite[3], le cas de Target est l’occasion idéale d’en exposer les tenants et aboutissants.

Dans le cas qui nous occupe, il nous faut d’abord souligner que bien que Target soit basé à Minneapolis dans l’État du Minnesota, elle peut bénéficier de la protection qu’accorde la LACC. Target constitue en effet une société par actions telle que définie à l’article 2 (1) de la LACC : il s’agit d’une « personne morale qui possède des actifs ou exerce des activités au Canada, quel que soit l’endroit où elle a été constituée ».

En permettant aux compagnies insolvables ayant plus de 5 millions de dollars de dettes de restructurer leurs affaires et leurs finances et, notamment, d’obtenir la suspension des droits de leurs créanciers[4], la LACC leur offre la possibilité d’échapper à la faillite ou à la saisie de leurs biens en améliorant leur rendement pour les créanciers. Conduites sous la supervision d’un contrôleur désigné par le tribunal, ces procédures permettent aux compagnies qui le désirent de poursuivre leurs activités de manière à préserver les emplois et à maintenir la valeur de l’entreprise[5]. Leur objectif est d’aboutir, au bout du compte, à la formulation d’un arrangement à l’intention des créanciers.

C’est par une demande au tribunal qu’une compagnie donnée débute les procédures de protection de la LACC. Ensuite, s’il accepte la demande, le tribunal émet une ordonnance initiale. Conséquemment, durant 30 jours, la compagnie est à l’abri des procédures judiciaires que ses créanciers pourraient intenter afin d’obtenir remboursement[6] . Dans le cas de Target Canada, l’ordonnance en question a été émise par la Cour Supérieure de justice de l’Ontario[7] le 15 janvier 2015.

Durant cette période de suspension des procédures, l’entreprise doit préparer un plan de transaction dans lequel elle propose à ses créanciers un plan de remboursement de ses dettes. L’ensemble du processus est supervisé par un contrôleur soit, dans le cas de Target Canada, Alvarez & Marsal Canada Inc, un syndic de faillite nommé par le tribunal. Le mandat de ce contrôleur consiste à surveiller les finances de l’entreprise en vue du respect de la loi, des ordonnances du tribunal et du plan de transaction. Il informe également les créanciers de la procédure de réclamation et les aide à remplir les formulaires appropriés[8].

Enfin, lorsque le plan de transaction est prêt, il est présenté aux créanciers et ceux-ci peuvent être invités à participer à une assemblée des créanciers afin d’approuver ou de rejeter le plan[9]. Une approbation signifie que les créanciers seront remboursés conformément au plan, alors qu’un rejet, sans entrainer automatiquement la faillite de la compagnie, aura pour effet de lever la protection dont elle bénéficie. En cas d’approbation, le tribunal doit tout de même homologuer le plan, c’est-à-dire l’approuver[10].

Dans le cas de Target Canada, nous venons d’apprendre que l’entreprise doit 1,9 milliards de dollars à Target Canada LLC, qui est une société créée par Target ayant pour but la gestion de ses actifs immobiliers. Puisque cette société s’avèrera probablement le plus important créancier de Target Canada, cela pourrait priver les autres créanciers de 400 millions de dollars. Cette situation risque d’avoir un impact sur le « plan de transaction ». Cela reste à suivre.


[2] Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, LRC (1985), ch. C-36 (ci-après « LACC »)

[3] Pour un exposé des différences existantes entre la restructuration en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et celle en vertu de la LACC, voir Philippe H. Bélanger, Bogdan-Alexandru Dobrota et Jocelyn T. Perreault «La restructuration en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers », dans Collection de droit 2014-15, École du Barreau du Québec, vol. 10, États financiers, fiscalité corporative, faillite et insolvabilité, 2013, p. 209 (CAIJ)

[4] LACC, art. 3

[6] LACC, art. 11.02 (1) a). Il est à noter par ailleurs que cette période de 30 jours peut être prolongée sur demande au tribunal.

[7] LACC, art. 2(1) et 9(1)

[8] Pour les formulaires et les documents importants, se référer au Règlement sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (DORS/2009-219) http://laws.justice.gc.ca/fra/reglements/DORS-2009-219/page-4.html#docCont

[9] LACC, art. 4-5

[10] LACC, art. 6

* Étudiante au baccalauréat en droit à l’Université Laval, Émilie Rochette détient également un baccalauréat en affaires publiques et relations internationales et complète actuellement une maîtrise en droit international, au cours de laquelle elle a notamment eu l’occasion de contribuer à divers projets dans le domaine du droit international pénal et humanitaire. Travaillant comme auxiliaire de recherche et d’enseignement en droit du travail, Émilie voue aussi un intérêt aux questions de la consommation, de la gouvernance des entreprises et des impacts sur les entreprises et la société des politiques économiques de l’État.

Valérie Langlois est présentement étudiante de 2e année au baccalauréat en droit à l’Université Laval. En mai 2014, elle se joint à titre de mentor au Centre de soutien aux étudiants de la Faculté de droit où elle y conseille les étudiants de première année sur les méthodes de travail et sur la manière de passer les examens en droit. Valérie est particulièrement intéressée par le droit des biens et des obligations. C’est sa curiosité envers le droit des affaires et son désir d’expérience pratique qui l’ont poussée à participer au Bulletin de droit économique. Elle se joint à l’équipe avec enthousiasme.

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