24
MAI
2015

« La diversité au sein des conseils d’administration : l’approche canadienne (par M. Victor St-Aubin-Dumont) »

*Victor St-Aubin-Dumont

 

La diversité au sein des conseils d’administration : l’approche canadienne

 

Depuis le début des années 70, les femmes ont réussi à se forger une place de plus en plus importante sur les bancs universitaires et dans les milieux professionnels. Cependant, encore aujourd’hui, une culture du « Old Boys Club » règne dans le monde des affaires et les femmes tardent à se faire une place dans les conseils d’administration des grandes entreprises. Le 31 décembre 2014, est entrée en vigueur la version définitive du Règlement 58-101 sur l’information concernant les pratiques en matière de gouvernance[1]. Cette nouvelle initiative législative pancanadienne vise l’augmentation de la proportion de femmes sur les conseils d’administration des émetteurs assujettis. Je traiterai d’abord du contenu de ces nouvelles dispositions avant d’examiner l’expérience législative australienne.

 

La sous-représentation des femmes au sein des conseils d’administration canadiens

 

L’étude GMI Ratings 2013 Women on Boards Survey[2] démontre sans équivoque que le Canada est loin d’être chef de file en matière de mixité des conseils d’administration. En effet, le Canada se place définitivement en queue de peloton des pays industrialisés, derrière les pays Scandinaves. Le classement est mené par la Norvège (40.5 %), la Suède (27 %), la Finlande (26.8 %), puis le Royaume-Uni (20.7 %) et la France (18.3 %). Le Canada se positionne au 16e rang (12.1 %), derrière les États-Unis (16.9 %) au neuvième rang, et l’Australie (12.3 %), au 14e rang.

 

Le nouveau Règlement 58-101 sur l’information concernant les pratiques en matière de gouvernance

 

Les nouvelles modifications du règlement 58-101 sont des mesures à mi-chemin entre le laisser faire et l’imposition de normes législatives contraignantes en matière de représentation féminine. Elles n’imposent donc pas de quotas ou de cibles obligatoires (tels qu’adoptés par certains pays étrangers comme en Norvège ou plus récemment en France). Elles visent à accroître la transparence de l’information transmise aux investisseurs et aux parties prenantes sur la diversité hommes-femmes au sein des conseils d’administration et de la direction des émetteurs assujettis. Les émetteurs assujettis, c’est-à-dire les entreprises ayant fait un appel public à l’épargne, sont désormais obligés de divulguer annuellement les informations suivantes :

  • L’existence ou non d’une politique écrite sur la représentation des femmes au sein du conseil d’administration et des postes de direction. Les entreprises doivent expliquer les dispositions de la directive et en examiner l’efficacité en indiquant les progrès accomplis.
  • La prise en compte ou non de la représentation féminine dans la procédure de nomination des membres du conseil d’administration et de la direction.
  • L’existence ou non d’une directive sur la durée du mandat des membres du conseil d’administration.
  • L’existence ou non de cibles concernant la représentation féminine au conseil d’administration et à la direction. Les entreprises doivent indiquer les progrès accomplis vers l’atteinte de la cible.
  • Le nombre de femmes au conseil d’administration et à la haute direction.

 

Les nouvelles dispositions du règlement appliquent le modèle du « comply or explain », c’est-à-dire que les entreprises devront prendre des mesures afin d’atteindre un meilleur équilibre des genres dans les instances décisionnelles (« comply »), ou bien justifier publiquement leur omission d’agir (« explain »). L’objectif de la stratégie « comply or explain » est de laisser le marché décider si les standards établis par la société émettrice sont suffisants.

 

Initiatives législatives internationales

 

La divulgation des informations non financières fait l’objet d’une attention accrue depuis quelques années dans des pays européens. D’ailleurs, la Commission européenne cherche à élargir la portée de la directive 2013/34/UE en imposant aux grandes sociétés de divulguer certains types d’informations non financières. Une réforme adoptée à la fin de l’année 2014 est venue imposer la diffusion d’informations concernant les politiques de diversité des sociétés, ce qui couvre la diversité des genres[3]. Les modifications de la Commission s’appuient également sur le principe du « comply or explain ».

 

De son côté, l’Australie a implanté un modèle règlementaire semblable à celui nouvellement en vigueur au Canada. Ainsi, depuis janvier 2011, les sociétés australiennes inscrites au ASX (Australian Stock Exchange) doivent divulguer les informations suivantes : leur politique interne de représentation féminine au conseil d’administration et à la haute direction, les progrès accomplis, leur politique de nomination, ainsi que la proportion de femmes sur leur CA et à la haute direction. Après quatre ans d’application, les résultats obtenus sont plutôt encourageants. La proportion de femmes siégeant sur les conseils d’administration des sociétés de l’ASX 200, c’est-à-dire les 200 principales capitalisations boursières australiennes, est passée de 13.4 % en 2011 à 19.4 % en janvier 2015. De plus, en 2012, soit un an après la mise en vigueur de la règlementation, 82 % des sociétés de l’ASX 200 avaient établi une politique interne fixant un objectif chiffré de représentation féminine dans les instances décisionnelles. Les entreprises, n’ayant pas encore fixé de cibles (18 %), se justifiaient notamment en raison qu’une stratégie globale était en cours d’élaboration; que le bassin de femmes compétentes dans certains domaines était trop limité; ou que la taille de l’entreprise ne justifiait pas une stratégie formelle [4].

 

Enfin, en Suède, le Code de la Gouvernance Corporative de la Suède, qui s’applique aux émetteurs publics, propose aussi un système du type « comply or explain », depuis 2005. Les résultats sont assez impressionnants. Le pourcentage de femmes siégeant sur les conseils d’administration est passé de 23.8 % en 2009 à 27 % en janvier 2013[5]. La performance suédoise en terme de représentation féminine au sein des conseils d’administration se positionne d’ailleurs très avantageusement face aux autres États européens.

Le Québec, ainsi que la plupart des autres provinces canadiennes ont introduit une stratégie semblable à celle de l’Australie et de la Suède. Les résultats australiens sont encourageants à la fois en raison de l’augmentation constante du pourcentage de femmes siégeant au sein des conseils d’administration, que de la participation des nombreuses entreprises à avoir élaboré une stratégie interne et des cibles pour atteindre celle-ci. De plus, le modèle du « comply or explain » a l’avantage d’être flexible et de bien s’adapter aux réalités complexes et foncièrement différentes de chaque entreprise. Les femmes ont fait énormément de progrès au cours des dernières décennies et ces nouvelles dispositions sont un pas vers la bonne direction. Toutefois, la réglementation ne fait que guérir un maux de façon superficielle et artificielle, sans s’attaquer au cœur de la problématique. Les autorités devraient tenter d’intervenir sur divers fronts en amont, ce qui favoriserait de façon durable et viable la place des femmes dans le monde des affaires.

 

*Victor St-Aubin-Dumont  est un étudiant de deuxième année au baccalauréat en droit à l’Université Laval. Son intérêt pour le droit des affaires l’a amené à s’impliquer à titre de vice-président aux affaires externes du Club de Droit et Affaires de l’Université Laval. Victor a un intérêt marqué pour la gouvernance d’entreprise.


[1] Règlement 58-101 sur l’information concernant les pratiques en matière de gouvernance, RLRQ, c V-1.1, r 32.

[2] Kimberley GLADMAN et Michelle LAMB, « GMI Ratings’ 2013 Women on Boards Survey », (2013) [en ligne], [http://www.boarddiversity.ca/sites/default/files/GMIRatings_WOB_042013.pdf] (4 mars 2015).

[3] Ivan TCHOTOURIAN, « Divulgation extra-financière des sociétés en Europe : présentation et analyse du projet de la Commission européenne », (2014), 309, 2, avril-juin, Revue trimestrielle de droit européen, p. 309.

[4] AUSTRALIAN INSTITUTE OF COMPANY DIRECTORS, Statistics, Appointments to S&P/ASX 200 Boards, (2015) [en ligne], [http://www.companydirectors.com.au/Director-Resource-Centre/Governance-and-Director-Issues/Board-Diversity/Statistics]

[5] Kimberley GLADMAN et Michelle LAMB, « GMI Ratings’ 2013 Women on Boards Survey », (2013) [en ligne], [http://www.boarddiversity.ca/sites/default/files/GMIRatings_WOB_042013.pdf] (4 mars 2015).

Dominique Mannella est inscrit au doctorat sous la direction du professeur Ivan Tchotourian. Dominique Mannella est titulaire d’un baccalauréat en droit, ainsi que d’un Master of Arts (M.A.) de l’Université de Dublin Trinity College (Irlande). Il a également complété des études de droit à l’Université de Montréal (Canada) et à l’Université de Bologne (Italie). Par ailleurs, il est titulaire d’une maîtrise en droit des valeurs mobilières et réglementation des marchés financiers américains et internationaux (LL.M.) obtenue au Georgetown University Law Center à Washington D.C. (États-Unis). Durant son baccalauréat, Dominique Mannella a réalisé un stage de recherche à l’Ambassade du Canada de Dublin et a collaboré à la revue de droit intitulée Trinity College Law Review. Il a également travaillé à l’U.S. Securities and Exchange Commission Division of Enforcement durant sa maîtrise, œuvrant principalement dans l’équipe chargée de détecter, d’enquêter et de faire sanctionner les infractions aux lois fédérales sur les valeurs mobilières. Dominique Mannella a pratiqué le droit en litige commercial dans les cabinets New-Yorkais Tosolini & Lamura LLP et Bracken Margolin Besunder LLP et a passé les examens du Barreau de New York en 2013. Membre du CÉDÉ, il mène ses recherches dans les domaines du blanchiment d’argent (sous un angle préventif) et de la gouvernance d’entreprise. Il travaille actuellement comme auxiliaire de recherche et d’enseignement pour le professeur Ivan Tchotourian et a à son actif plusieurs publications. Il s'est récemment vu remettre une prestigieuse bourse du Fonds pour l'éducation et la saine gouvernance de l'Autorité des marchés financiers ainsi qu'un stage pour la poursuite de ses études au doctorat.

Contribuer