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JUIL
2015

Institutions financières : une gouvernance en question (billet invité de Fatoumata Diallo et Naomi Koffi, étudiantes du cours DRT-7022)

Le séminaire à la maîtrise de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022) dispensé à la Faculté de droit de l’Université Laval entend apporter aux étudiants une réflexion originale sur les liens entre la sphère économico-juridique, la gouvernance des entreprises et les enjeux sociétaux actuels. Le séminaire s’interroge sur le contenu des normes de gouvernance et leur pertinence dans un contexte de profonds questionnements des modèles économique et financier. Dans le cadre de ce séminaire, il est proposé aux étudiants depuis l’hiver 2014 d’avoir une expérience originale de publication de leurs travaux de recherche qui ont porté sur des sujets d’actualité de gouvernance d’entreprise. C’est dans cette optique que s’inscrit cette publication qui utilise un format original de diffusion : le billet de blogue. Cette publication numérique entend contribuer au partager des connaissances à une large échelle (provinciale, fédérale et internationale). Le présent billet de Mmes Fatoumata Diallo et Naomi Koffi revient sur la crise de gouvernance qui a touché les institutions financières. Dans le cadre de ce billet, les auteures font également un parallèle avec les règles de gouvernance des sociétés par actions pour apporter un regard critique sur le comportement des institutions financières. Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’ai pu en prendre à le corriger.

Ivan Tchotourian

 

Suite aux révélations sur les pratiques très controversées des institutions financières à l’origine de la crise de 2008, une profonde réforme du système fut envisagée, poussant ainsi, les autorités nationales et internationales à reconsidérer la gouvernance interne des institutions financières, mais également à s’interroger sur le rôle du conseil d’administration, face à cette déconfiture. En effet, en tant qu’organe central et décisionnel de la société, le conseil d’administration est tenu de déterminer la stratégie commerciale et financière de l’institution et est chargé d’assurer une mission de contrôle et de surveillance des actions menées en son sein. Or, de graves défaillances furent démontrées en la matière. Dans le rapport intitulé de Larosière[1] commandé par la Commission européenne au lendemain de la crise, des experts ont relevé que des manquements au regard des missions et des obligations générales des administrateurs des institutions financières avaient été commis à plusieurs niveaux. Les experts ont dans un premier temps constaté une certaine passivité chez les administrateurs. Cette passivité s’est notamment manifestée par l’absence de contrôle effectif des mesures et des orientations stratégiques soumises par les dirigeants, ainsi que par l’absence d’analyses contradictoires. Dans un deuxième temps, l’incapacité des administrateurs à identifier, à comprendre et à encadrer les risques notamment systémiques auxquels s’exposait l’institution financière fût mise en lumière. Toutes ces conclusions ont mené les experts à un constat : celui de l’incompétence des hauts gestionnaires des institutions financières dans la conduite de ces activités particulièrement sensibles. Dans un troisième temps, il fût aussi démontré que la forte présence d’acteurs court-termistes (notamment de hedge funds) au sein de l’actionnariat avait conduit les administrateurs et les dirigeants à travailler sous pression et à prendre des risques, recherchant la performance à tout prix.

 

Le premier pas américain

 

Ces réflexions ont été suivies de plusieurs réformes dans les différentes législations nationales. Dans sa politique destinée à gérer la crise financière, les États-Unis ont adopté en 2010 le Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act. Cette loi prévoit d’importantes modifications relatives aux procurations, notamment en ce qui concerne l’information sur la rémunération de la haute direction et le droit des actionnaires de proposer des candidats au conseil[2]. En outre, le sous-titre E instaure pour toutes les entreprises le Say on Pay. C’est un double droit de vote facultatif permettant aux actionnaires de voter concernant la rémunération des dirigeants et la détermination de la fréquence du Say on Pay[3]. Ce vote n’est cependant pas contraignant et n’a qu’un rôle consultatif[4]. De manière générale, des dispositions visent à améliorer l’information des actionnaires et à contraindre le conseil d’administration à fournir celle-ci. Dans le même esprit, à la lecture du sous-titre G, il ressort que les sociétés sont tenues dorénavant de fournir des informations sur la structure de leadership de leur conseil d’administration, y compris la question de savoir s’il y a séparation ou non des fonctions de président et chef de la direction et de président du conseil, et les raisons motivant cette décision[5]. Voici la règle du complain or explain affirmée !

 

Une réaction de grande ampleur

 

D’autres pays ont aussi largement légiféré sur le sujet : l’Allemagne dès 2008, la Grande-Bretagne en 2009 avec le Banking Reform Act. L’Union européenne a quant à elle rédigé un Livre vert dans lequel elle a émis aussi plusieurs recommandations visant à l’amélioration de la gouvernance des conseils des institutions financières. Elle a préconisé plus de transparence de l’action du conseil, en incitant les administrateurs a publié des « déclarations de maîtrise de risques » ou encore, en sensibilisant le personnel à la culture du risque et aux enjeux qui s’y rapportent. Enfin, plus important encore, la Commission européenne a innové en recommandant aux pays européens de consacrer un véritable devoir fiduciaire de l’administrateur non seulement à l’égard des actionnaires, mais aussi des parties prenantes (créanciers, épargnants, déposants etc..) du fait du caractère sensible des activités des institutions financières[6].

 

Et le Canada ?

 

En ce qui concerne le Canada, non relèverons qu’il est le seul État dont l’économie ne fut pas lourdement touchée par la crise. Cela s’explique notamment par l’existence d’une très forte réglementation encadrant les activités financières. Pour autant, malgré ce constat positif, les autorités réglementaires de contrôle ne relâchent pas la pression. Dès 2009, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a publié une Ligne directrice sur la gouvernance édictant des règles de bonne gouvernance destinées aux conseils d’administration des institutions financières[7]. L’AMF a recommandé à cette occasion le développement de « programmes de gouvernance » personnalisés et propres à la taille, la nature et la complexité des activités des institutions financières. Ces programmes doivent prévoir des mécanismes de gestion de risque, de contrôle, de supervision et de vérification en interne des comportements des membres des institutions financières. Pour cela, l’AMF a souhaité que soit renforcé le rôle des comités d’audit afin favoriser la délivrance d’une information claire et précise aux administrateurs.

 

Plus récemment, dans la même perspective, le Bureau du surintendant des institutions financières du Canada a publié des lignes directrices destinées elles aussi à la bonne gouvernance au sein des institutions financières[8]. Selon lui, la bonne gouvernance des institutions financières tourne autour de trois éléments fondamentaux : la mise en place d’un conseil d’administration compétent et indépendant ; la bonne gouvernance et la gestion des risques ; et la présence de comités d’audit indépendants. Par ailleurs, pour favoriser l’émergence de bonnes décisions, et par souci de transparence, il préconise une dissociation des fonctions du président du conseil et de la direction de l’institution financière. In fine, une tendance doctrinale actuelle, d’une part, vise à favoriser la mixité et la féminisation des conseils et, d’autre part, insiste sur le recrutement d’administrateur possédant une certaine compréhension et expérience du système financier. L’ensemble de ces nouveaux impératifs constitutifs de la norme de gouvernance saine et prudente s’inscrit dans le cadre de la règle générale de prudence et de diligence des administrateurs envers toutes les parties prenantes.

 

Conclusion

 

Suite à la crise de 2008, la refonte du système financier était donc bien nécessaire. Si la majorité des législations ont aujourd’hui réformé leur droit, reste à savoir si ces nouvelles normes seront mises en œuvre par les gouvernants des institutions financières et leurs manquements sanctionnés par les autorités compétentes.

 

Fatoumata Diallo

Naomi Koffi

Étudiantes du cours de gouvernance de l’entreprise (DRT-7022)


[1] The High-Level group of Financial supervision in the EU, « Report », Jacques de Larosière (Ed.), 2009, (ici).

[2] Cabinet Davies, « Loi Dodd-Frank – Application des obligations de gouvernance, de réforme du secteur des valeurs mobilières et d’information aux sociétés ouvertes », 2010, p. 1 (ici).

[3] Ivan Tchotourian, « Gouvernance d’entreprise et rémunération à l’aune de la nouvelle régulation financière américaine : big bang ou coup d’épée dans l’eau », 2010, p. 4 (ici).

[4] Jeremy L. Goldstein, Wachtell Lipton et al., « Say on Pay So Far », 2011 (ici).

[5] Pour une actualité, voir : Jacques Grisé, « Quel est le stade d’implantation de la loi Dodd-Frank aux É.U. », 2012 (ici).

[6] Commission européenne, « Livre vert sur Le gouvernement d’entreprises dans les établissements financiers et les politiques de rémunération », 2010.

[7] Autorité des marchés financiers (AMF), « Ligne directrice sur la gouvernance », avril 2009.

[8] Bureau du surintendant des institutions financières Canada, « Ligne directrice sur la Gouvernance d’entreprise », 2013.

Dominique Mannella est inscrit au doctorat sous la direction du professeur Ivan Tchotourian. Dominique Mannella est titulaire d’un baccalauréat en droit, ainsi que d’un Master of Arts (M.A.) de l’Université de Dublin Trinity College (Irlande). Il a également complété des études de droit à l’Université de Montréal (Canada) et à l’Université de Bologne (Italie). Par ailleurs, il est titulaire d’une maîtrise en droit des valeurs mobilières et réglementation des marchés financiers américains et internationaux (LL.M.) obtenue au Georgetown University Law Center à Washington D.C. (États-Unis). Durant son baccalauréat, Dominique Mannella a réalisé un stage de recherche à l’Ambassade du Canada de Dublin et a collaboré à la revue de droit intitulée Trinity College Law Review. Il a également travaillé à l’U.S. Securities and Exchange Commission Division of Enforcement durant sa maîtrise, œuvrant principalement dans l’équipe chargée de détecter, d’enquêter et de faire sanctionner les infractions aux lois fédérales sur les valeurs mobilières. Dominique Mannella a pratiqué le droit en litige commercial dans les cabinets New-Yorkais Tosolini & Lamura LLP et Bracken Margolin Besunder LLP et a passé les examens du Barreau de New York en 2013. Membre du CÉDÉ, il mène ses recherches dans les domaines du blanchiment d’argent (sous un angle préventif) et de la gouvernance d’entreprise. Il travaille actuellement comme auxiliaire de recherche et d’enseignement pour le professeur Ivan Tchotourian et a à son actif plusieurs publications. Il s'est récemment vu remettre une prestigieuse bourse du Fonds pour l'éducation et la saine gouvernance de l'Autorité des marchés financiers ainsi qu'un stage pour la poursuite de ses études au doctorat.

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