22
MAR
2019

La chaine de blocs : réinventer les rapports entre les pairs

«La blockchain changera plus nos vies qu’Internet»[1].

 

La blockchain, ou chaîne de blocs en français, a connu un essor exponentiel dans les dernières années et tout le monde en parle. C’est une révolution technologique qui a fait son entrée avec le célèbre Bitcoin (secteur bancaire). En 2008, c’est la crise économique et les institutions financières vacillent. Apparait alors le Bitcoin, une cryptomonnaie qui fonctionne sans banque et qui appartient à tous les utilisateurs. Cela rend possible de se voir fournir des services financiers pour des personnes qui ne peuvent avoir accès à une banque, comme dans les pays en voie de développement où le taux de bancarisation est faible.. Toutefois, l’utilisation de la chaine de blocs ne se limite pas à ce secteur d’activités. En effet, son application semble sans limite et prend part dans de nombreuses industries comme l’énergie, l’immobilier, la santé, l’art…

 

La chaine de blocs peut se définir de plusieurs façons, mais retenons simplement que c’est une « technologie de stockage et de transmission d’information qui est sécurisée, transparente et qui fonctionne sans organe centrale de contrôle »[2]. Tout le fonctionnement de la chaine de blocs se base sur un langage informatique et sur une mécanique qui sont complexes. Bref, c’est en quelque sorte un registre qui est détenu par plusieurs ordinateurs en même temps : il y a donc plusieurs serveurs. L’une des caractéristiques de la chaine de blocs est que « tout utilisateur peut ajouter des éléments au registre. Ces éléments sont assemblés sous la forme de blocs, et il existe un processus permettant de valider de manière définitive les nouveaux blocs au fur et à mesure que ceux-ci sont ajoutés à la « chaîne » : ce processus vise à empêcher la falsification du registre et est en général également public et réalisé de manière décentralisée »[3]. Il n’y a alors pas de duplication comme la plupart des transactions qui sont réalisables par Internet. C’est donc un réel transfert de valeurs et c’est ce qui garantit sa sécurité et la confiance que les personnes placent en ce système.

Un autre élément clé de cette révolution technologique se trouve dans le fait qu’il n’y a pas d’organe central de contrôle; ce qui veut dire que c’est un algorithme qui permet aux utilisateurs de se mettre d’accord sur l’état du registre[4]. Par conséquent, l’objectif de la chaine de blocs est de se passer des intermédiaires du quotidien[5] pour échanger de la valeur de pair à pair, car normalement le transfert se ferait par des banques ou par l’État, par exemple. Certes, il est vrai de dire que des intermédiaires sont supprimés mais d’autres nouveaux sont créés pour avoir une restructuration des rapports de confiance entre les différents utilisateurs. C’est la sécurité des informations stockées qui permet d’instaurer des rapports de confiance. En effet, une fois que les informations sont « emprisonnées » dans un bloc et dans un registre, le bloc ne pourra plus être modifié sauf consensus de tous les utilisateurs, ce qui est peu probable. La transaction effectuée au sein de la blockchain est transparente, car tout est conservé dans le registre, ce qui la rend plus sécuritaire. Sécuritaire aussi par le fait que si une personne voulait toucher à l’intégrité d’un fichier de la blockchain, « il lui faudrait modifier tous les fichiers de cette base de données décentralisée en même temps, ce qui nécessiterait du temps et des ressources technologiques considérables »[6].

L’usage des chaines de blocs semble abstrait et loin de nous, mais la réalité est tout autre. Partout à travers le monde, des personnes expérimentent cette technologie qui permet de restructurer les rapports sociaux. Par exemple, prouver qu’une personne est bien propriétaire est parfois une tâche complexe quand il n’y a pas de registres fonciers ou de cadastres. Comment faire pour protéger un droit de propriété et éviter que quiconque revendique ce titre ? Au Ghana, par le Bitland, les titres de propriétés sont certifiés et aucune personne ne peut modifier unilatéralement ces actes. Par contre, les notaires ne perdront pas leur emploi, car les intermédiaires sont redirigés vers d’autres fonctions. Un autre exemple de l’utilisation de la chaine de blocs serait de permettre de gérer les droits numériques en temps réel et permettre à l’artiste (musicien, peintre, chanteur) de prendre le contrôle sur ses œuvres. Ainsi, les données privées pourraient être mieux protégées. Un chanteur, par exemple, pourrait avoir le contrôle direct sur sa rémunération dans le cas o       ù une de ses chansons serait écoutée. Il pourrait alors se passer des intermédiaires comme les labels de musique qui lui prendraient une partie de ce que rapporte la chanson. De ce point de vue, la chanson pourrait être offerte à un prix moindre, mais rapporter tout autant, voire plus, à l’artiste lui-même. La blockchain permettrait une « juste redistribution des droits d’auteur et d’interprète en répertoriant toute action ou transaction associée à une œuvre numérisée »[7]. Par conséquent, il serait possible de suivre directement l’argent versé par un consommateur pour l’écoute d’une chanson produite par le chanteur.

En somme, comme nous venons de le voir, les domaines d’application de la chaine de blocs sont très variés : il peut s’agir des transports, la gestion des droits numériques comme pour les films ou jeux vidéos, la santé, l’administration. Au Québec c’est par l’intermédiaire de l’énergie qu’elle a fait son entrée[8]. Tout le fonctionnement des différentes blockchains passent par une consommation plus qu’importante d’électricité. Il n’est donc pas anodin qu’Hydro-Québec s’intéresse de près à cette nouvelle technologie. Par l’utilisation de la blockchain dans le domaine de l’énergie, il sera possible d’organiser les transferts ainsi que le partage d’énergie, de suivre les transactions financières associées tout en certifiant l’origine de la production de l’énergie, que ce soit de l’électricité ou autres. D’ailleurs, la Régie de l’énergie (selon la décision du 13 juillet 2018 décision D-2018-084) a rendu une décision qui approuve provisoirement une nouvelle catégorie de clients pour un usage cryptographique associé aux chaines de blocs. Ce qui a mené à une nouvelle catégorie de consommateurs d’électricité avec des tarifs et conditions spécifiques. Au final, ce sera la Régie de l’énergie qui fixera les tarifs et conditions pour l’usage cryptographique des chaines de blocs quand la décision sera finale.[9]

 

L’apparition de la chaine de blocs dans les différents secteurs d’activités va réorganiser les rapports de confiance entre les pairs et fait naitre de nouveaux enjeux. D’abord, en ce qui concerne la gouvernance, « les règles d’organisation des communautés d’acteurs (utilisateurs ou valideurs) ainsi que leur mécanisme de régulation sont déterminants pour la pérennité du service »[10]. La chaine de blocs doit s’assurer de l’efficacité technique pour les nouveaux services qu’elle propose. Ensuite, « la reprise de l’existant et la gestion des contentieux à venir (nombre de services ignorent cet enjeu) »[11], sont des enjeux qui soulèveront de nombreuses questions chez les juristes. Enfin, il faudra s’intéresser à la mise en place concrète de la blockchain qui verra le jour, car si en théorie il semble simple de la mettre en application, parfois, dans le concret ce sera une tout autre réalité. De nombreuses interrogations seront au cœur des discussions notamment en ce qui a trait aux objets physiques qui représenteront l’élément des transactions, parce que ce ne sera plus simplement numérique comme un simple transfert d’argent.

 

 

[1] RUCHE, S., «La blockchain changera plus nos vies qu’internet », Le Temps, 18 janvier 2019, [en ligne] https://www.letemps.ch/economie/don-tapscott-blockchain-changera-plus-nos-vies-quinternet.

[2] BALVA, C., « La blockchain : réinventer les rappports de confiance », TEDxLyon, [en ligne] https://www.youtube.com/watch?v=JID9c-MABis.

[3] BERBAIN, C., «  La blockchain : concept, technologies, acteurs et usages », Réalités industrielles, Paris, 2017, [en ligne] https://search-proquest-com.acces.bibl.ulaval.ca/docview/1926481007?rfr_id=info%3Axri%2Fsid%3Aprimo

[4] BALVA, C., « La blockchain : réinventer les rappports de confiance », TEDxLyon, préc., note 2.

[5] AXA, « Qu’est-ce que la Blockchain », [en ligne] https://www.youtube.com/watch?v=PC0kG4XJNfQ .

[6] BOUCHARD, C. et C. KROLIK, « Pour une visions stratégique et intégrée des chaines de blocs », LeDevoir, 9 juillet 2018, [en ligne] https://www.ledevoir.com/opinion/idees/531987/pour-une-vision-strategique-et-integree-des-chaines-de-blocs.

[7] RENAUD, P., « La blockchain à la rescousse de l’industrie musicale », 22 juillet 2017, [en ligne] https://www.ledevoir.com/culture/musique/503902/la-blockchain-a-la-rescousse-de-l-industrie-musicale.

[8]PENSEZ BLOCKCHAIN, « Pour une vision stratégique et intégrée des chaînes de blocs », Pensezblockchain.ca, 15 juillet 2018, [en ligne] https://www.pensezblockchain.ca/au-quebec/2018/7/15/pour-une-vision-stratgique-et-intgre-des-chanes-de-blocs.

[9] HYDRO-QUÉBEC, « Secteur des chaines de blocs au Québec Résumé de la demande d’Hydro-Québec », Hydro Québec, [en ligne] https://www.hydroquebec.com/chaines-de-blocs/demande-regie-energie.html.

[10] BERBAIN, C., « La blockchain : concept, technologies, acteurs et usages », Réalités industrielles, préc., note 3.

[11] Id.

Étudiante au baccalauréat en droit de l’Université Laval. Implication comme bénévole pour le Bureau d’information juridique de l’Université Laval. Ayant un intérêt particulier pour le droit économique​.

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