08
SEP
2014

L’ISR : une option prometteuse ? (par Mme Daria Fleury)

 « Dans le cadre de l’Université d’été sur la criminalité économique organisée par le CÉDÉ à la fin mai 2014, j’ai eu l’opportunité (comme mes collègues) de corriger certains travaux d’étudiants touchant la gouvernance et les services financiers qui se sont révélés de grande qualité. Le présent billet expose le travail de Mme Daria Fleury qui porte sur la notion d’investissement socialement responsable (ISR). Je vous en souhaite une très bonne lecture.

Ivan Tchotourian »

D’un point de vue financier, l’investissement de l’épargne d’un contribuable se fait en analysant ses perspectives de rendement en fonction du risque. Or, pour certains, d’autres critères que la performance revêtent une importance significative. Ces individus désireux de donner un sens à leur épargne peuvent se tourner vers un autre type d’investissement: l’investissement responsable. Suite à la lecture d’un texte[1] relié à une présentation faite durant un séminaire sur la criminalité économique dans le cadre de l’université d’été du centre d’études en droit économique de l’Université Laval, cet article se veut une réflexion sur l’intérêt de l’investissement responsable comme alternative à l’investissement traditionnel.

 

1. Catégorie de fonds communs de placement responsables

 

Afin de répondre à une certaine demande, des fonds communs de placement dédiés à l’investissement responsable furent créés et ces fonds représentent maintenant mondialement plusieurs milliards d’euros, même s’ils demeurent encore marginaux en termes de poids du total des fonds gérés[2]. Leur progression est toutefois particulièrement rapide quoiqu’il faille mentionner qu’il est considérablement plus facile d’afficher une progression dite rapide si la valeur en termes absolus est initialement faible. Tous les fonds qui ne considèrent pas uniquement le rendement comme objectif premier ne peuvent être amalgamés en un seul agrégat[3]. Il convient de les classer en trois catégories. D’abord, les fonds éthiques, qui existent depuis les années 20 aux États-Unis, excluent les compagnies ou secteurs de l’économie qui ne répondent pas à certains critères moraux[4]. Ensuite, les fonds socialement responsables, qui ont fait leur apparition dans les années 1970 aux États-Unis, diffèrent de la première catégorie par les valeurs sur lesquelles ils se basent, c’est-à-dire les valeurs syndicales et consuméristes[5]. Enfin, la troisième catégorie de fonds, les fonds de développement durable, choisissent les meilleures compagnies de n’importe quel secteur en considérant également des critères sociaux et environnementaux[6]. Tandis que les fonds éthiques et socialement responsables ne recherchent pas nécessairement la performance, les fonds de développement durable reposent sur la prémisse que les firmes ayant diminué leurs risques environnementaux et ayant adopté des politiques progressistes à l’égard de leurs employés améliorent leur perspective économique à moyen ou long terme[7]. Ceci peut sembler logique étant donné que de telles pratiques réduisent le risque de poursuites futures en matière environnementale ainsi que le risque d’arrêt ou de réduction de la production en raison d’un conflit de travail. Toutefois, cela dépend aussi des coûts qu’ils encourent pour réaliser ces politiques, la théorie étant que l’espérance de gain ne doit pas être inférieure au coût marginal.[8]

 

 2. Rendement

 

Certains observent effectivement que les fonds basés sur l’exclusion de certains secteurs sont généralement peu performants, ce qui en fait dire plusieurs que la morale a un coût[9]. Or, les fonds de développement durable rivalisent bien mieux avec les divers indices auxquels ils sont comparés en matière de performance[10]. Il appert néanmoins raisonnable de questionner la pertinence de la comparaison avec les indices pour évaluer la performance. Certains indices regroupent des compagnies de tailles considérables dont les taux de croissance potentiels et les risques peuvent fortement varier des compagnies retenues par un fond particulier. Par exemple, le fond Matrix exploration, qui se concentre fortement dans les secteurs des matériaux et de l’énergie, ne comporte pas le même potentiel de croissance et de risque que le S&P 500 qui est un indice basé sur cinq cents grandes sociétés cotées sur les bourses américaines représentant les secteurs majeurs de l’économie[11]. D’ailleurs, le Domini Social Index (DSI 400), principal indice américain socialement responsable offrait un rendement légèrement plus élevé que le S&P 500 depuis sa création en 1990, mais le DSI 400 a considérablement plus souffert de l’effondrement des titres technologiques au début des années 2000[12]. À la place de comparer la performance du fond avec un indice qui ne comporte pas nécessairement le même niveau de risque, une mesure potentiellement plus intéressante de la performance du fond est le calcul de l’alpha de celui-ci qui évalue le rendement en fonction du risque encouru[13]. Les meilleurs fonds auront des alphas positifs et significatifs, ce qui impliquera qu’ils ont obtenu un rendement excédentaire en fonction du risque qu’ils ont pris.[14] Or, les fonds sociaux, environnementaux et de bonne gouvernance n’ont pas produit d’alpha positif et significatif ni avant la crise financière ni après celle-ci.[15] Le fait que ces fonds n’aient pas fourni de quelconque protection contre un effondrement du marché justement causé par la mauvaise gouvernance implique que ceux-ci sont tout aussi exposés au risque de marché que les autres. Ces résultats contredisent donc l’hypothèse faite par les fonds de développement durable selon laquelle l’investissement dans des compagnies qui incorporent les sphères sociales et environnementales dans leurs décisions corporatives diminue les risques de long terme.

 

3.  Problèmes et limites

 

Il existe certains problèmes avec les fonds éthiques au niveau de l’hétérogénéité de l’éthique de divers fonds[16]. Certains étant sur le marché depuis longtemps offrent une crédibilité plus grande en la matière que les nouveaux venus[17]. De plus, les sources considérées doivent être suffisamment larges pour être crédibles. En France, certains s’appuient uniquement sur les études d’une source pour décider de l’acceptabilité sociale des firmes[18]. Ensuite, un processus de gestion qui s’assure que le gestionnaire répond au mandat qu’il lui est confié ainsi que la présence d’un comité d’orientation avec des membres indépendants sont deux autres éléments qui contribuent aux disparités existant entre les fonds éthiques[19]. Lorsque les quatre critères ci-haut mentionnés sont pris en compte, il n’y a que 68% des fonds offerts qui correspondent à un niveau jugé « bon »[20]. En science, la méthodologie est tout aussi importante que les résultats, car ces derniers ne peuvent être pris sérieusement si la méthodologie sur laquelle ils s’appuient n’est pas rigoureuse. Ainsi, la méthodologie avec laquelle l’évaluation de la performance des entreprises sur des critères éthiques, sociaux ou environnementaux est fondamentale aux résultats que dégageront les gestionnaires de fonds quant aux compagnies qu’ils incluront dans leur portefeuille socialement responsable[21]. Or, cette notation sociétale s’appuie sur plusieurs sources telles que des questionnaires envoyés aux entreprises, des rencontres avec les dirigeants, la compilation d’informations venant des entreprises, la compilation d’informations dans la presse ou sur Internet ainsi que la remontée d’informations en provenance des syndicats et des Organisations Non-Gouvernementales (ONG)[22]. Il est possible de soulever une réserve au niveau des informations provenant des groupes d’intérêt. Alors que ceux-ci peuvent détenir de l’information pertinente, l’information transmise peut aussi être partielle et biaisée afin d’assurer la concordance avec leurs intérêts particuliers. La pondération des informations recueillies constitue aussi un problème potentiel[23]. Il appert raisonnable de supposer que le responsable de la pondération n’utilise pas une moyenne simple des informations colligées, mais qu’il attribue plutôt un poids à celles-ci, ce qui rend le processus relativement subjectif.  Le processus de notation encourt donc un problème de légitimité et de crédibilité, qui ne peuvent que dépendre du professionnalisme des agences responsables du processus de notation[24]. Or, ce professionnalisme serait en fonction de deux facteurs: des moyens mis en place et de la rigueur méthodologique utilisée[25]. De sérieuses inquiétudes ont été formulées quant au manque de ressources pour la surveillance des entreprises concernées ainsi qu’au niveau de la méthodologie qui se limite parfois à la simple compilation de données[26]. Enfin, l’ensemble du processus est empreint à un problème de pondération[27]. La pondération retenue s’appuie sur les valeurs propres au pays qui la réalise et les valeurs changent significativement en fonction de la géographie[28]. Que la pondération et les critères retenus varient régionalement ou nationalement ne peut être qu’une limite au potentiel de ces fonds. Non seulement le profil de l’investisseur auquel le fonds est destiné revêt un caractère plus national qu’international, ce qui prive le fond d’un accès à une clientèle mondiale, mais la prolifération de ce type de fonds semble plus propice que la consolidation étant donné le besoin de répondre à un profil plus domestique, ce qui prive aussi ces fonds d’économies d’échelle potentielles.

 

4. Avantages de l’investissement responsable

 

Nonobstant les problèmes liés à la méthodologie utilisée, les fonds socialement responsables permettent aux investisseurs d’augmenter leur pouvoir en lien avec les causes en lesquelles ils croient. L’activisme actionnarial permet, grâce à la possession d’actions, d’assister aux assemblées des actionnaires et d’influencer les décisions de l’entreprise, notamment en publiant les prises de positions de la compagnie lors de l’assemblée et en y proposant des résolutions[29]. Il semble aussi que l’activisme actionnarial porte ses fruits. Au début des années 2000, près de 17% des propositions aux assemblées générales des actionnaires de grandes compagnies françaises portaient sur des points relevant des dimensions sociales ou environnementales tandis que ce nombre atteint un peu plus de 33% aux États-Unis[30]. Les propositions semblent toutefois recevoir un faible appui et ne se traduisent pas souvent par l’adoption de résolution, ce qui limite l’impact de l’activisme actionnarial à celui de conscientisation des actionnaires à divers enjeux autres que la profitabilité[31].

 

Certains fonds réservent aussi une portion de leur capital d’investissement à de l’investissement communautaire, comme le microcrédit[32]. L’intérêt du microcrédit est dérivé de l’imperfection du marché du crédit. En raison du rationnement en termes de quantité, de risque et de coûts de transactions, les coûts reliés à ces contraintes entraînent une plus faible production imputable aux investissements qui ne sont jamais réalisés. Une étude trouve que si ces contraintes étaient abolies, la production augmenterait entre 15% et 32% au nord du Pérou[33]. Le microcrédit permet l’octroi de petits prêts à des gens très pauvres pour des fins d’emploi personnel et de projets générateurs de revenus[34]. Alors que plusieurs vantent les bienfaits du microcrédit, notamment en permettant aux plus démunis d’avoir accès à un crédit qu’ils n’auraient autrement jamais eu, leur permettant ainsi de réaliser un projet pouvant les sortir de la pauvreté, un documentaire réalisé par la chaîne PBS s’interroge aussi sur l’éthique qui entoure l’acte de faire de l’argent sur le dos des plus démunis[35]. Néanmoins, alors qu’un individu seul n’aurait probablement jamais été en mesure d’influer sur la vie des plus démunis avec son investissement, l’investissement dans un fonds qui investit une partie de son capital de risque dans de tels projets lui permet d’accomplir cela et, bien qu’en collaboration avec les autres investisseurs, de donner un sens différent à son épargne.

 

5. Conclusion 

 

En conclusion, l’investissement éthique répond à un besoin chez certains investisseurs de donner un sens à leur épargne ainsi qu’à s’assurer que l’investissement de cette épargne est concordant avec les valeurs de l’investisseur. À long terme, l’activisme actionnarial ainsi que des initiatives communautaires telles que le microcrédit pourraient avoir des impacts significatifs. À court terme, ces fonds sont confrontés à des controverses en lien avec leur processus de notation sociétale ainsi qu’à la performance qu’ils offrent à leurs investisseurs. Avec l’élargissement des inquiétudes liées au réchauffement climatique ainsi qu’avec l’essor de la mondialisation, il sera intéressant d’observer la place que les investisseurs réserveront à l’investissement éthique dans les années à venir.

 

Daria Fleury

Bachelière en droit de l’Université Laval

Participante à l’Université d’été du centre d’études en droit économique de l’Université Laval (2014)

Étudiante à l’École du Barreau


[1] Alain CHAVEAU et Jean-Jacques ROSE, L’entreprise responsable, Paris, Éditions d’Organisation, 2003, p. 23 – 44.

[2] Alain CHAVEAU et Jean-Jacques ROSE, L’entreprise responsable, supra, note 1, p. 26.

[3] Alain CHAVEAU et Jean-Jacques ROSE, L’entreprise responsable, supra, note 1, p. 25.

[4] Ibid.

[5] Ibid.

[6] Ibid.

[7] Alain CHAVEAU et Jean-Jacques ROSE, L’entreprise responsable, supra, note 1, p. 25-26.

[8] Ejan MACKAAY et Stéphane ROUSSEAU, Analyse économique du droit, Montréal, Les Éditions Thémis, 2008, p. 332-333.

[9] Alain CHAVEAU et Jean-Jacques ROSE, L’entreprise responsable, supra, note 1, p. 34.

[10]Ibid.

[11] Bloomberg, http://www.bloomberg.com/quote/SPX:IND;  Fonds Matrix, Fonds d’exploration, novembre 2010, p. 2, http://matrixfunds.ca/fr/documents/Exploration_SS_French_NOV_LR.pdf

[12] Alain CHAVEAU et Jean-Jacques ROSE, L’entreprise responsable, supra, note 1, p. 34.

[13] Noël AMENC et Véronique LE SOURD, The performance of socially responsible investment and sustainable development in France: An update after the financial crisis, EDHEC-Risk, 2010, p. 2 et 23.

[14] Russell J. FULLER, Behavioral finance and the sources of alpha, Journal of Pension Plan Investing 1998, vol .3, no. 2, p. 4.

[15] Noël AMENC et Véronique LE SOURD, The performance of socially responsible investment and sustainable development in France: An update after the financial crisis, supra, note 13, p. 2 et 23.

[16] Alain CHAVEAU et Jean-Jacques ROSE, L’entreprise responsable, supra, note 1, p.28.

[17] Ibid.

[18] Ibid.

[19] Ibid.

[20] Ibid.

[21] Alain CHAVEAU et Jean-Jacques ROSE, L’entreprise responsable, supra, note 1, p. 29.

[22] Ibid.

[23] Alain CHAVEAU et Jean-Jacques ROSE, L’entreprise responsable, supra, note 1, p. 30.

[24] Alain CHAVEAU et Jean-Jacques ROSE, L’entreprise responsable, supra, note 1, p. 32.

[25] Ibid.

[26] Ibid.

[27] Ibid.

[28] Ibid.

[29] Alain CHAVEAU et Jean-Jacques ROSE, L’entreprise responsable, supra, note 1, p. 30.

[30] Alain CHAVEAU et Jean-Jacques ROSE, L’entreprise responsable, supra, note 1, p. 40-41.

[31] Alain CHAVEAU et Jean-Jacques ROSE, L’entreprise responsable, supra, note 1, p. 41.

[32] Alain CHAVEAU et Jean-Jacques ROSE, L’entreprise responsable, supra, note 1, p. 31.

[33] Stephen BOUCHER, Catherine GUIRKINGER et Carolina TRIVELLI, Direct elicitation of credit constraints: Conceptual and practical issues with an empirical application to Peruvian agriculture, Providence, 2006, p. 30.

[34] Larry R. REED, State of the microcredit summit campaign report 2011, Washington, 2011, p. 1.

[35] Who’s Making Money From Microcredit?, PBS, 2007, 27 min., http://www.pbs.org/now/shows/338/index.html

Dominique Mannella est inscrit au doctorat sous la direction du professeur Ivan Tchotourian. Dominique Mannella est titulaire d’un baccalauréat en droit, ainsi que d’un Master of Arts (M.A.) de l’Université de Dublin Trinity College (Irlande). Il a également complété des études de droit à l’Université de Montréal (Canada) et à l’Université de Bologne (Italie). Par ailleurs, il est titulaire d’une maîtrise en droit des valeurs mobilières et réglementation des marchés financiers américains et internationaux (LL.M.) obtenue au Georgetown University Law Center à Washington D.C. (États-Unis). Durant son baccalauréat, Dominique Mannella a réalisé un stage de recherche à l’Ambassade du Canada de Dublin et a collaboré à la revue de droit intitulée Trinity College Law Review. Il a également travaillé à l’U.S. Securities and Exchange Commission Division of Enforcement durant sa maîtrise, œuvrant principalement dans l’équipe chargée de détecter, d’enquêter et de faire sanctionner les infractions aux lois fédérales sur les valeurs mobilières. Dominique Mannella a pratiqué le droit en litige commercial dans les cabinets New-Yorkais Tosolini & Lamura LLP et Bracken Margolin Besunder LLP et a passé les examens du Barreau de New York en 2013. Membre du CÉDÉ, il mène ses recherches dans les domaines du blanchiment d’argent (sous un angle préventif) et de la gouvernance d’entreprise. Il travaille actuellement comme auxiliaire de recherche et d’enseignement pour le professeur Ivan Tchotourian et a à son actif plusieurs publications. Il s'est récemment vu remettre une prestigieuse bourse du Fonds pour l'éducation et la saine gouvernance de l'Autorité des marchés financiers ainsi qu'un stage pour la poursuite de ses études au doctorat.

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