10
SEP
2014

L’impact de la décision de la Cour suprême américaine dans l’affaire Halliburton Co v. Erica P. John Fund sur les recours collectifs en valeurs mobilières

*Dominique Mannella

Ce billet traite de la décision de la  Cour suprême américaine dans l’affaire Halliburton Co v. Erica P. John Fund No. 13-317  (ci-après Halliburton). Dans son jugement rendu le 23 juin 2014, sous la plume du Chief Justice Roberts, le plus haut tribunal américain confirme qu’en matière de recours collectif, les demandeurs peuvent continuer de s’appuyer sur la présomption: « fraud-on-the-market theory ». En appel de la décision de la Cour d’appel du Fifth Circuit, les juges concluent que l’appelant Halliburton, au stade de l’autorisation par le tribunal du recours collectif, peut apporter à titre de moyen de défense une preuve directe que les fausses représentations n’ont pas eu d’impact sur le prix du marché. Se faisant, le plus haut tribunal maintient la présomption établie dans la décision Basic c. Levinson (1988) 485 U.S. 224. En faisant disparaître le critère de l’appui individuel pour chaque investisseur, la Cour suprême avait permis aux victimes de fraude dans le domaine des valeurs mobilières de procéder par recours collectif pour représentations fausses ou trompeuses.

L’évolution de ce moyen de défense au stade de l’autorisation présentera un grand intérêt après l’entrée en vigueur  en 2015 du nouveau Code de procédure civile, qui permettra dorénavant à toute entreprise, quel que soit le nombre de ses employés, de participer à un recours collectif, incluant des investisseurs institutionnels.

 

Historique du recours collectif : Amgen Inc. v. Conn. Ret. Plans and Trust Funds (Amgen) 133 S. Ct. 1184 (2013)

 

Dans son jugement du 11 juin, 2012, la Cour suprême américaine s’est penchée sur les critères applicables, au stade de l’autorisation par le tribunal, du recours collectif en valeurs mobilières pour fausse représentation en violation de l’article 10(b) de la Securities Exchange Act 1934 et du règlement 10b-5 de la Securities Act 1933.  S’appuyant sur la décision Basic c. Levinson, 485 U.S. 224 (1998), la Cour suprême a accueillie la requête certiorari afin de déterminer : (i) au stade de l’autorisation par le tribunal, la validité de la présomption « fraud-on-the-market theory » offert aux investisseurs sur le marché secondaire quant au caractère frauduleux de l’information transmise et (ii) le moyen de défense offert aux défenderus en démontrant le manque d’importance de la fausse représentation. Comme nous le verrons, la décision Halliburton viendra répondre à ces deux questions.

 

Halliburton : quel est l’impact de cette décision au Québec ?

 

Les modifications apportées par le législateur québécois en 2007 avec l’adoption du projet de Loi 19 facilitent les recours collectifs sur le marché secondaire par la voie de deux présomptions. La première est à l’effet que l’investisseur s’est fié aux documents ou à la déclaration comportant une information fausse ou trompeuse. L’obligation de faire la démonstration de causalité entre sa perte et la divulgation de l’émetteur de l’information fausse ou trompeuse a été supprimée.

L’investisseur n’a pas à prouver que l’information fausse ou trompeuse a eu un impact important sur le cours ou la valeur du titre. Le régime statutaire depuis 2007 applique des mesures afin de limiter les dommages qui sont payables par l’émetteur, le dirigeant ou l’administrateur et l’expert. La Loi sur les valeurs mobilières, telle qu’amendée, prévoit un mécanisme de filtrage. Ainsi une démonstration doit être faite que le recours est intenté de bonne foi et qu’il a des possibilités raisonnables de gain de cause.

Le recours statutaire prévoit également des défenses particulières :

  • une défense de diligence raisonnable qui permet au défendeur d’établir qu’il a effectué une enquête raisonnable démontrant qu’il n’avait aucune raison de croire que l’information était fausse ou trompeuse;
  • une défense sur la base de la nature prospective de l’information valablement fondée et transmise, à condition que l’information contienne les mises en garde et une mention des hypothèses et facteurs pris en considération.

 

Ainsi, à la différence du recours civil[1], le recours statutaire[2] n’impose pas au demandeur de faire la preuve que la valeur du titre était gonflée ou sous-évaluée lors de la transaction résultant du manquement aux obligations de divulgation. Comme nous l’avons vu, le défendeur peut cependant renversée cette présomption en établissant que la variation du titre est attribuable, en totalité ou en partie, à une autre cause[3]. Eu égard aux particularités du recours collectif au Québec, nous sommes d’avis que la décision Halliburton pourrait avoir un impact considérable si le recours collectif est autorisé par les tribunaux québécois[4].

En conclusion, bien que la décision Halliburton impose un degré de preuve plus élevé aux défendeurs au stade de l’autorisation, les récents développements jurisprudentiels québécois donnent lieu à une approche encore plus « certification-friendly » facilitant le recours collectif pour les investisseurs québécois. Cependant, il est à noter que cette décision facilite le moyen de défense offert aux émetteurs, aux courtiers en valeurs mobilières, aux administrateurs et dirigeants en leur permettant d’invoquer le manque d’impact sur le prix du titre boursier.

* Doctorant, Faculté de droit, Université Laval


[1] Au recours en responsabilité civile prévu à l’article 1457 du Code civil du Québec s’ajoute l’article 213.1 L.v.m. qui prévoit expressément que les dispositions de cette loi « n’ont pas pour effet d’empêcher l’exercice d’une action en dommages-intérêts en application des règles du droit commun de la responsabilité civile ».

[2] Les articles 214-225.1 et 225.2-225.33 L.v.m. prévoient un certain nombre de recours « civils » dont peuvent se prévaloir les investisseurs en cas de manquement aux diverses obligation d’information et de divulgation qui y sont prévues. Ces recours peuvent être regroupés en deux grandes catégories selon le type d’infraction visé, à savoir (i) les recours  portant sur les opérations effectuées sans prospectus ou sans note d’information et (ii) les recours visant à sanctionner la transmission d’informations fausses ou trompeuses sur les marchés primaire et secondaire.

[3] Art. 225.30 L.v.m.

[4] Voir les décisions Theratechonologies Inc. c. 121851 Canada Inc.  (QCCA 1256) et Kegel c. National Bank of Canada, Montréal. No 500-06-000642-138, 16 septembre 2013, par l’honorable Mark Schrager, par. 6-8.

Dominique Mannella est inscrit au doctorat sous la direction du professeur Ivan Tchotourian. Dominique Mannella est titulaire d’un baccalauréat en droit, ainsi que d’un Master of Arts (M.A.) de l’Université de Dublin Trinity College (Irlande). Il a également complété des études de droit à l’Université de Montréal (Canada) et à l’Université de Bologne (Italie). Par ailleurs, il est titulaire d’une maîtrise en droit des valeurs mobilières et réglementation des marchés financiers américains et internationaux (LL.M.) obtenue au Georgetown University Law Center à Washington D.C. (États-Unis). Durant son baccalauréat, Dominique Mannella a réalisé un stage de recherche à l’Ambassade du Canada de Dublin et a collaboré à la revue de droit intitulée Trinity College Law Review. Il a également travaillé à l’U.S. Securities and Exchange Commission Division of Enforcement durant sa maîtrise, œuvrant principalement dans l’équipe chargée de détecter, d’enquêter et de faire sanctionner les infractions aux lois fédérales sur les valeurs mobilières. Dominique Mannella a pratiqué le droit en litige commercial dans les cabinets New-Yorkais Tosolini & Lamura LLP et Bracken Margolin Besunder LLP et a passé les examens du Barreau de New York en 2013. Membre du CÉDÉ, il mène ses recherches dans les domaines du blanchiment d’argent (sous un angle préventif) et de la gouvernance d’entreprise. Il travaille actuellement comme auxiliaire de recherche et d’enseignement pour le professeur Ivan Tchotourian et a à son actif plusieurs publications. Il s'est récemment vu remettre une prestigieuse bourse du Fonds pour l'éducation et la saine gouvernance de l'Autorité des marchés financiers ainsi qu'un stage pour la poursuite de ses études au doctorat.

Contribuer