04
AVR
2015

MetLife attaque la décision de la trésorerie américaine (par M. Tristan Rodrigues-Teixeira)

* M. Tristan Rodrigues-Teixeira

La compagnie d’assurances MetLife est un géant dans l’industrie des assurances et des produits financiers. D’après ses propres chiffres, il ne suffit que de comparer ses revenues de $US 68 milliards à ses pairs ou ses actifs de $US 885 milliards au produit intérieur brut (PIB) de certains pays.

Pourtant, cette taille porte avec elle certaines conséquences notamment la désignation récente de la Financial Stability Oversight Council (« FSOC »). MetLife est une entreprise reconnue aux États-Unis comme assureur, mais également comme un « shadow bank » ou banque à l’ombre puisqu’elle offre une gamme de service financier. Depuis la crise financière, les législateurs américains tentent de sécuriser le système financier contre les faiblesses qui sont devenues apparentes durant cette période. La loi Dodd-Frank  fut adoptée d’une part pour répondre à certaines lacunes apparues dans l’industrie financière et, d’autre part, pour assurer une supervision plus étroite des acteurs importants.

Selon l’ancien gouverneur de la banque du Canada et à l’heure actuelle le chef de la banque centrale en Angleterre, Mark Carney, les banques à l’ombre sont la plus grande menace au système économique mondiale. Le journal international, « The Economist » rapporte que ces institutions agissent comme des banques; c’est à dire, ils prêtent, investissent et assurent des clients, mais sans dépôts (qui est la source traditionnelle de financement des banques). Chez les ombrées, les ressources utilisées appartiennent à des clients, mais sont obtenues par l’entremise d’investissement comme dans le cas de Blackrock ou des primes d’assurances comme le cas de MetLife. Ces institutions, toujours à la recherche de bons rendements, à leurs tours, prêtent ou investissent l’argent.   

L’une de ces banques à l’ombre importantes est MetLife. Son statut lui a mérité une désignation comme banque qui doit maintenir un seuil de capital liquide pour combler des pénuries de liquidités en cas de revers économique similaire à la récession 2009. À la lumière d’une perte certaine de profitabilité liée à cette contrainte de capital, MetLife a décidé d’attaquer la décision du conseil américain, la FSOC, avec une requête au tribunal.

Dans sa requête, MetLife invoque plusieurs failles de la part de FSOC. Parmi les réclamations de l’entreprise, cette dernière prétend que : la décision du conseil est mal fondée, qu’il y a une déficience d’équité procédurale, que la plaignante n’est pas vulnérable et que MetLife n’est pas une entité financière telle que définie dans la loi Dodd-Frank. Toutefois il y a un aspect intéressant au paragraphe 44 de sa plainte : l’assureur pose une question primordiale à propos de la relation entre l’entité américaine et la Financial Stability Board (« FSB ») (l’entité financière intergouvernementale avec un mandat similaire en Europe). Puisque ceux qui siègent au FSOC sont aussi membres du FSB, MetLife s’interroge sur l’influence que l’entité étrangère détient sur son homologue américain. Plus précisément, l’entreprise conteste une réglementation qui est de facto étrangère et remet en cause l’équité des conséquences qui en suivent.

Un auteur dans un « think tank » américain a souligné cette argumentation comme étant très importante. Le centre de recherche est le « American Enterprise Institute », qui est réputé pour la défense des intérêts patronaux et qui soutient un point de vue « laissez-faire » quant à la réglementation. Naturellement l’AEI est préoccupé par l’intensification de la réglementation des entreprises. Pourtant, l’AEI souligne l’importance globale de certaines entreprises. MetLife est tellement présente comme banque à l’ombre que les organismes européens auraient probablement manifesté un intérêt à ce que les autorités américaines rendent leurs supervisions de ce dernier plus étanche.

En 2013, le professeur André Prüm de l’université de Luxembourg a prononcé un discours sur les « shadow banks » ou banque à l’ombre lors de la première conférence annuelle Paule Gauthier tenue à l’université Laval. L’importance de prendre connaissance de ces activités a été soulignée par le professeur par la mention que ce secteur représentait en 2012 24% du système bancaire des 20 plus grandes nations de l’Union européenne. Étant donné l’envergure du secteur parallèle bancaire, les risques associés sont importants à noter; les risques de faillite des banques à l’ombre, les niveaux de dettes excessives portées par ses entités, l’outrepassent des règlements quant à l’arbitrage international des conflits et l’effet contagion que ces enjeux pourront avoir sur le système traditionnel.

Pour sa part, le Canada est l’un des systèmes bancaires les plus encadrés du monde. Le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) supervise le système bancaire canadien depuis 1987. La tâche est simplifiée grâce à la constitution canadienne qui place les banques sous une juridiction fédérale. Tel n’est pas le cas chez nos voisins du sud qui ont 50 juridictions bancaires et une juridiction fédérale qui s’ingère dans une mêlée de lois et règlement…  ingérence entièrement justifiée par la dernière récession et la croissance en importance des entités parallèle ou banques à l’ombre. Alors que l’échelon fédéral aux États unis doit se débattre avec plusieurs juridictions pour en arriver à une réglementation satisfaisante, il est important de noter que la commission européenne gère un système de plusieurs pays qui ne manque pas de complexité juridique et politique.

 

 *M. Tristan Rodrigues-Teixeira est diplômé de l’université Concordia en sciences politiques et en administration de l’École de gestion John-Molson. Il est présentement étudiant de 3e année au baccalauréat en droit à l’Université Laval. À l’automne 2014, il a rejoint la clinique Pro Bono et a décidé de contribuer au blogue “Gouvernance et services financiers”. Tristan se passionne pour le droit des affaires et voit sa participation au Bulletin de droit économique comme une opportunité de développer une expérience unique.

Dominique Mannella est inscrit au doctorat sous la direction du professeur Ivan Tchotourian. Dominique Mannella est titulaire d’un baccalauréat en droit, ainsi que d’un Master of Arts (M.A.) de l’Université de Dublin Trinity College (Irlande). Il a également complété des études de droit à l’Université de Montréal (Canada) et à l’Université de Bologne (Italie). Par ailleurs, il est titulaire d’une maîtrise en droit des valeurs mobilières et réglementation des marchés financiers américains et internationaux (LL.M.) obtenue au Georgetown University Law Center à Washington D.C. (États-Unis). Durant son baccalauréat, Dominique Mannella a réalisé un stage de recherche à l’Ambassade du Canada de Dublin et a collaboré à la revue de droit intitulée Trinity College Law Review. Il a également travaillé à l’U.S. Securities and Exchange Commission Division of Enforcement durant sa maîtrise, œuvrant principalement dans l’équipe chargée de détecter, d’enquêter et de faire sanctionner les infractions aux lois fédérales sur les valeurs mobilières. Dominique Mannella a pratiqué le droit en litige commercial dans les cabinets New-Yorkais Tosolini & Lamura LLP et Bracken Margolin Besunder LLP et a passé les examens du Barreau de New York en 2013. Membre du CÉDÉ, il mène ses recherches dans les domaines du blanchiment d’argent (sous un angle préventif) et de la gouvernance d’entreprise. Il travaille actuellement comme auxiliaire de recherche et d’enseignement pour le professeur Ivan Tchotourian et a à son actif plusieurs publications. Il s'est récemment vu remettre une prestigieuse bourse du Fonds pour l'éducation et la saine gouvernance de l'Autorité des marchés financiers ainsi qu'un stage pour la poursuite de ses études au doctorat.

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