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AVR
2015

Retour sur la notion de gouvernance (par M. Victor St-Aubin-Dumont)

*Victor St-Aubin-Dumont

Depuis 2002, suite à l’introduction de la  loi Sarbanes-Oxley aux États-Unis, la gouvernance corporative est devenue un enjeu d’actualité bien présent. Le gouvernement américain de l’époque a dû, pour essayer de regagner la confiance du public très ébranlée  suite aux scandales financiers hautement médiatisés d’Enron et de WorldCom, instaurer de nouvelles obligations de  divulgation d’informations financières aux entreprises. Plus récemment, on observe un intérêt renouvelé pour les pratiques de bonne  gouvernance. La crise économique de 2008 fut marquée par plusieurs scandales financiers chez nos voisins du sud, pensons notamment aux découvertes de fraudes massives dans les affaires Goldman Sachs et Madoff. Ces scandales alimentent un certain cynisme ambiant. Les principes de bonne gouvernance, semble-t-il, seraient la solution pour combattre la méfiance actuelle du public.

La « gouvernance corporative » est une expression bien à la mode qui est fréquemment galvaudée et utilisée à toutes les sauces. Mais qu’est-ce que la gouvernance ? Peu de personnes pourraient y répondre clairement. C’est en effet un concept évolutif aux contours particulièrement imprécis. L’ouvrage « Principles of contemporary corporate governance »[1]  apporte un éclairage pertinent sur cette notion et je souhaitais vous le partager. Tout d’abord, je discuterai brièvement de l’évolution de la gouvernance corporative pour ensuite exposer la définition des auteurs et en faire ressortir les éléments clés.

Une évolution de la notion

Dans son approche plus traditionnelle, la gouvernance d’entreprise encadre les relations entre les actionnaires, le conseil d’administration et la haute direction. Depuis l’affaire Enron, la gouvernance se concentre  davantage sur l’éthique corporative ainsi que sur les bonnes pratiques en matière de divulgation financière au public. Enfin, plus récemment, la théorie de la responsabilité sociale des entreprises amène la gouvernance à devenir  un véhicule de choix pour faire la mise en balance des intérêts des diverses parties prenantes de l’entreprise[2].

L’ouvrage « Principles of Contemporary Corporate Governance » décrit les principes fondamentaux de la gouvernance corporative en plus de présenter les nouveaux enjeux émergents. Voici la définition proposée par les auteurs du concept de gouvernance corporative :

« [Traduction] La gouvernance corporative est le système de régulation et de surveillance de la conduite corporative  ainsi que d’équilibrage des intérêts de parties prenantes internes et des autres parties qui peuvent être touchées par la conduite de l’entreprise afin de s’assurer du comportement responsable de l’entreprise et d’atteindre un niveau maximal d’efficacité et de rentabilité pour la corporation. »[3]

Les 4 éléments clés de la définition

1. Rôle du conseil d’administration dans la régulation et la surveillance de la haute direction : les administrateurs  sont notamment appelés à approuver les stratégies d’affaires, les budgets et toutes autres décisions majeures. De l’obligation de surveillance découle celle de l’évaluation de la performance des dirigeants. Le conseil d’administration doit également s’assurer que la gestion de la corporation est conforme aux nombreux règlements. Pensons par exemple aux obligations en matière d’audits financiers et de divulgations publiques.

2. La prise en considération des intérêts des parties prenantes dans la prise de décision : les auteurs rejettent l’idée de la primauté absolue des intérêts des actionnaires. Les parties prenantes incluent les actionnaires mais également les autres groupes affectés par les activités de la société. Pensons aux créanciers, aux employées ou aux consommateurs. Ces groupes ont fréquemment des intérêts divergents. À titre d’exemple, les actionnaires recherchent souvent une rentabilité maximale alors que les consommateurs souhaitent un produit d’une qualité supérieure à un bas prix. Les administrateurs doivent prendre en considération les intérêts des acteurs concernés par les activités de l’entreprise au cours de leur processus décisionnel afin d’arriver à une solution optimale. Notons d’ailleurs que la Cour suprême du Canada, en 2004, dans l’affaire Peoples[4], a abandonné la position traditionnelle axée sur la primauté des intérêts des actionnaires et a fait un pas important  vers la reconnaissance de la théorie des parties prenantes.[5]

3. La promotion d’un comportement responsable : un processus décisionnel qui met en balance les intérêts de diverses parties prenantes favorise une prise de décision plus responsable ainsi qu’un comportement de bon citoyen corporatif[6]. De plus, les administrateurs, de par leur rôle de régulateur et de surveillance de la gestion de la société, doivent établir une stratégie de gestion des risques, notamment par la mise en place de mécanismes de surveillance continue. Les administrateurs pourront de cette façon mieux saisir les risques et possibilités d’affaires stratégiques et avoir toutes les informations nécessaires pour une prise de décision éclairée et responsable.

4. La recherche de l’atteinte d’un niveau maximal d’efficacité et de rentabilité : le conseil d’administration ne doit ni être une structure superflue ni un obstacle au développement de l’entreprise. Il est ainsi primordial que les administrateurs s’impliquent activement afin d’accomplir leur mission de façon efficace. Les décisions des administrateurs doivent toujours être faites dans le meilleur intérêt de la société. Une diversité d’expertises  et la composition du conseil d’administration devraient permettre d’assurer une plus-value.

Pour ne pas conclure

En somme, la définition  de la gouvernance corporative, décrite par les auteurs, s’articule en  quatre éléments clés donnant ainsi un nouvel éclairage permettant de mieux cerner les contours flous de ce concept. Cependant, l’idée de bonne gouvernance corporative, de par sa nature, est souple et évolutive. D’ailleurs, l’Organisation de coopération et de développement économiques présentera plus tard cette année, une toute nouvelle mouture de son guide « Principes de gouvernance d’entreprise »[7] dont la dernière version date de 2004. Cette révision répond à la nécessité de maintenir des principes pertinents qui tiennent compte de l’évolution de l’environnement externe touchant les entreprises et leurs marchés. J’aborderai, dans un prochain article, les changements apportés par l’OCDE aux principes directeurs de gouvernance d’entreprise.

*Victor St-Aubin-Dumont  est un étudiant de deuxième année au baccalauréat en droit à l’Université Laval. Son intérêt pour le droit des affaires l’a amené à s’impliquer à titre de vice-président aux affaires externes du Club de Droit et Affaires de l’Université Laval. Victor a un intérêt marqué pour la gouvernance d’entreprise.


[1] Jean-Jacques DU PLESSIS et al., « Principles of contempory corporate governance », Melbourne, Cambridge University Press, 2011, p. 10.

[2] Amiram GILL, « Corporate Governance as Social Responsibility: A Research Agenda », Berkeley Journal of International Law, vol. 26-2, 2008, p. 453.

[4] Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise., 2004 CSC 68, par. 42.

[5] Raymonde CRETE et Stéphane ROUSSEAU, « Droit des sociétés par actions principes fondamentaux », Montréal, Éditions Thémis, 2011, p.422.

[6] Cf. récemment Ivan TCHOTOURIAN, « Devoir de prudence et de diligence des administrateurs et RSE : Approche comparative et prospective », Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014.

[7] OECD., « OECD Principles of Corporate Governance » (2015) [en ligne], [http://www.oecd.org/corporate/oecdprinciplesofcorporategovernance.htm], (27 mars 2015)

Dominique Mannella est inscrit au doctorat sous la direction du professeur Ivan Tchotourian. Dominique Mannella est titulaire d’un baccalauréat en droit, ainsi que d’un Master of Arts (M.A.) de l’Université de Dublin Trinity College (Irlande). Il a également complété des études de droit à l’Université de Montréal (Canada) et à l’Université de Bologne (Italie). Par ailleurs, il est titulaire d’une maîtrise en droit des valeurs mobilières et réglementation des marchés financiers américains et internationaux (LL.M.) obtenue au Georgetown University Law Center à Washington D.C. (États-Unis). Durant son baccalauréat, Dominique Mannella a réalisé un stage de recherche à l’Ambassade du Canada de Dublin et a collaboré à la revue de droit intitulée Trinity College Law Review. Il a également travaillé à l’U.S. Securities and Exchange Commission Division of Enforcement durant sa maîtrise, œuvrant principalement dans l’équipe chargée de détecter, d’enquêter et de faire sanctionner les infractions aux lois fédérales sur les valeurs mobilières. Dominique Mannella a pratiqué le droit en litige commercial dans les cabinets New-Yorkais Tosolini & Lamura LLP et Bracken Margolin Besunder LLP et a passé les examens du Barreau de New York en 2013. Membre du CÉDÉ, il mène ses recherches dans les domaines du blanchiment d’argent (sous un angle préventif) et de la gouvernance d’entreprise. Il travaille actuellement comme auxiliaire de recherche et d’enseignement pour le professeur Ivan Tchotourian et a à son actif plusieurs publications. Il s'est récemment vu remettre une prestigieuse bourse du Fonds pour l'éducation et la saine gouvernance de l'Autorité des marchés financiers ainsi qu'un stage pour la poursuite de ses études au doctorat.

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