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DéC
2015

L’ABC d’une fusion: fusions-acquisitions, partie I

 

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En octobre dernier, l’entreprise américaine de logiciels financiers, Dealogic, publiait une analyse en fonction des dernières statistiques liées aux fusions-acquisitions. Les constats sont fulgurants : entre janvier et septembre 2015, il y a eu quarante-cinq fusions de plus de 10 milliards $ entre grandes multinationales.[1] Le total des opérations est estimé à 1.5 trilliard $; ce qui équivaut à une augmentation de 89% comparativement à la même période l’an dernier. Ces chiffres proviennent, entre autres, d’une récente acquisition américaine: l’achat de Time Warner Cable Inc par Charter Communications inc. en mai dernier, totalisant 79.6 billions $. Du côté asiatique, les affaires sont tout aussi florissantes : l’achat par Itochu Corp (Japon) et Charoen Pokphand Group (Thaïlande) d’une participation de 20% dans les affaires de CITIC Ltd ou encore le rachat par Suzuki Motor Corp de Porsche Automobil Holding pour 3.8 milliards $ sont des transactions financières à ne pas négliger. Il semble s’agir d’une tendance lourde. En novembre dernier, c’était au tour de la compagnie Visa d’être en pourparlers avec Visa Europe pour son rachat. On peut aussi penser à l’entreprise AB InBev qui a procédé au rachat de SABMiller pour environ 100 milliards d’euros ou encore, à l’acquisition de la compagnie Allergan par l’un des leaders en matière de produits pharmaceutiques, Pfizer.

 

À la lumière de toutes ses initiatives commerciales majeures, c’est l’occasion idéale de présenter, à travers une série de trois articles de blogues, les enjeux liés aux fusions-acquisitions québécoises et canadiennes. Dans un premier temps, j’examinerai les diverses étapes d’une fusion. Dans un deuxième temps, je présenterai les avantages et inconvénients en lien avec les acquisitions commerciales (d’actifs ou d’actions). Finalement, j’examinerai les obstacles pouvant surgir en matière de concurrence lors d’une fusion-acquisition.

 

Au Québec et au Canada, il existe principalement trois moyens pour une société par actions d’en acquérir une autre, soit par l’acquisition des biens corporels ou incorporels afférents à cette société, soit par l’achat d’actions ou par une fusion statutaire.[2] C’est sur cette dernière opération commerciale que je me pencherai désormais.

 

Au sens du droit des sociétés par actions, qu’est-ce qu’une fusion, exactement? Il s’agit de la réunion légale de deux ou plusieurs sociétés par actions dans le but de n’en devenir qu’une seule.[3] Afin que ce processus aboutisse, diverses étapes légales sont nécessaires et il est pertinent de dresser un portrait global de celles-ci. C’est une procédure complexe qui nécessite une planification minutieuse afin de réussir. Malgré des phases communes, la procédure liée à la fusion ordinaire est différente de celle de la fusion simplifiée et c’est ce dont il sera question dans les paragraphes qui suivent.

 

Les étapes préalables communes 

Avant d’entamer le processus de fusionnement, les entreprises doivent être régies par la même loi constitutive, soit la Loi canadienne sur les sociétés par actions[4] (L.c.s.a.) ou la Loi sur les sociétés par actions[5] (L.s.a.). En effet, seules les sociétés d’une même juridiction peuvent fusionner[6]. C’est pour cela que les deux lois prévoient des transferts de juridiction s’effectuant par continuation.[7] Il y a aussi des formalités en matière de solvabilité qui doivent être respectées par l’entreprise. S’il est raisonnable de croire que, suite à la fusion, la nouvelle société par actions ne sera pas en mesure d’acquitter ses dettes, la fusion pourrait ne pas être possible.[8] En dernier ressort, si la société issue de la fusion acquiert le statut d’émetteur assujetti, elle devra respecter les formalités prévues par les lois et règlements encadrant les valeurs mobilières dont notamment le Règlement 45-106[9].

 

Les étapes pour une fusion ordinaire

Le premier critère primordial à respecter est la rédaction d’une convention de fusion contenant les modalités de la fusion et ses accessoires, en prévoyant spécifiquement la catégorie des nouvelles actions émises par la société par actions[10]. Le conseil d’administration devra soumettre cette convention aux actionnaires pour approbation[11] qui se fera par résolution spéciale[12]. Si l’approbation d’au moins les deux tiers des voix exprimées par les actionnaires de chaque société voulant fusionner est reçue, la convention de fusion sera conclue.[13] Par contre, pour la société par actions régie par la loi fédérale, il existe une particularité qui n’est pas présente dans le régime québécois : pour être adoptée, la convention de fusion devra supplémentairement être approuvée par les actionnaires de chaque catégorie ou de série d’actions. Ils sont habiles à voter séparément[14]. Par la suite, les statuts de fusion sont rédigés et déposés au registraire ou auprès du directeur des entreprises (selon le cas)[15] qui établira un certificat de fusion si toutes les modalités légales ont été observées[16].

 

Le cas spécial des fusions simplifiées 

La L.c.s.a. et la L.s.a prévoient un régime plus simple de fusion dite simplifiée qui ne nécessite ni le dépôt d’une convention de fusion ni l’approbation d’une proportion des actionnaires. Notons que l’opération sera possible dans les cas de fusion verticale ou horizontale seulement. Il est donc possible de passer par ce procédé abrégé lorsqu’une société mère fusionne avec un ou plusieurs de ses filiales (fusion verticale) ou lorsque les filiales d’une même société mère fusionnent entre elles (fusion horizontale)[17]. Pour les fusions de ce genre, la seule exigence à satisfaire est la prise d’une simple résolution par le conseil d’administration de chacune des sociétés par actions qui souhaite fusionner[18]. Il faudra quand même déposer les statuts de fusion auprès du registraire ou du directeur des entreprises[19]. Conséquemment, un certificat attestant la fusion pourra être délivré[20]. C’est au moment de la délivrance de ce certificat que les deux anciennes entreprises n’en deviennent qu’une seule, que l’actif et le passif de l’entreprise originale sont transférés à la nouvelle entité et que l’entreprise issue de la fusion acquiert tous ses droits et obligations légales.[21]

Toutefois, il arrive souvent qu’une fusion ne soit pas l’option la plus avantageuse financièrement ou stratégiquement pour une société par actions. Cette dernière pourrait plutôt décider de procéder par achat d’actions ou d’actifs. Cette idée sera développée dans le prochain article de la série sur les fusions-acquisitions.

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[1]Adrien DE CALAN, Les fusions-acquisitions en pleine folie des grandeurs», LaPresse.ca, 30 octobre 2015, [En ligne], [http://affaires.lapresse.ca/economie/international/201510/30/01-4915575-les-fusions-acquisitions-en-pleine-folie-des-grandeurs.php] ; Olga TARABRINA, «Record 45 $10bn+ Deals Announced in First Nine Months of 2015 », Dealogic.com, 7 octobre 2015, [En ligne], [http://www.dealogic.com/media/market-insights/ma-statshot/]. 

[2] Daniel PICOTTE, «La cession d’entreprise», dans Collection de droit 2015-2016, École du Barreau du Québec, vol. 9, Entreprises et sociétés, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2015, p. 261, <http://edoctrine.caij.qc.ca/collection-de-droit/2015/9/1262828699/>.

[3] REID, H. avec la collaboration de S. REID, Dictionnaire de droit québécois et canadien : avec table des abréviations et lexique anglais-français, «fusion», 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2015.

[4] Loi canadienne sur les sociétés par action, LRC 1985, c. C-44.

[5] Loi sur les sociétés par action, RLRQ, c. S-31.1.

[6] Art. 276 L.s.a. et art. 181 L.c.s.a.; Daniel PICOTTE, «La cession d’entreprise», dans Collection de droit 2015-2016, École du Barreau du Québec, vol. 9, Entreprises et sociétés, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2015, p. 275, <http://edoctrine.caij.qc.ca/collection-de-droit/2015/9/1262828699/>.

[7] Art. 288 et 297 L.s.a. et art. 188 L.c.s.a.

[8] Art. 287 L.s.a. et art. 185 (2) a) i) et ii) L.c.s.a.

[9] Règlement 45-106 sur les dispenses de prospectus, RRQ, 1981, V-1.1, r. 21.

[10] Art. 277 L.s.a. et art. 182 L.c.s.a.

[11] Art. 277, 278, 279 et 284 L.s.a.; art. 183 (3) à (5) L.c.s.a.

[12] Art. 279 L.s.a.

[13] Art. 2, 191 et 279 L.s.a.; art. 183 (5) L.c.s.a.

[14] Art. 176, 183 (1) et (4) L.c.s.a.

[15] Art. 284-285 L.s.a. et 185 (1) et (2) L.c.s.a.

[16] Art. 286 L.s.a. et art. 185 (4) L.c.s.a.

[17] Art. 281 et 282 L.s.a.; art. 184 L.c.s.a.; Daniel PICOTTE, «La cession d’entreprise», dans Collection de droit 2015-2016, École du Barreau du Québec, vol. 9, Entreprises et sociétés, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2015, p. 278, <http://edoctrine.caij.qc.ca/collection-de-droit/2015/9/1262828699/>.

[18] Art. 281, 282 L.s.a. et art. 184 L.c.s.a.

[19] Art. 285 L.s.a. et art. 185 (1) L.c.s.a.

[20] Art. 286 L.s.a. et art. 185 (4) L.c.s.a.

[21] Art. 286 L.s.a. et art. 186 L.c.s.a.

Laurence Béland-Cousineau est étudiante en troisième année au baccalauréat en droit de l’Université Laval. Bachelière en administration des affaires de l’Université du Québec à Montréal, elle est également détentrice d’un certificat en droit transnational de l’Université de Genève (Suisse). Le droit des affaires l’intéresse, plus particulièrement le droit des sociétés, les enjeux liés à la gouvernance d’entreprise et le domaine de la fusion-acquisition.

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