16
FéV
2018

Financiarisation, court-termisme et marchés financiers

Les récentes fusion-acquisitions intervenues au Québec entre les entreprises québécoises Jean Coutu et Métro ou entre Rona et Lowe’s mènent au constat de la prédominance du court-termisme sur les marchés financiers et de son impact sur la longévité des entreprises cotées en bourse.  Les spécialistes ont remarqué que le court-termisme, expression de la financiarisation des entreprises, est ancré de différentes manières dans les entreprises[1].

La première manifestation du court-termisme dans les entreprises publiques s’illustre à travers la croissance du nombre d’investisseurs qui possèdent un horizon d’investissement réduit au regard de ceux qui possède une vision à long-terme. La durée moyenne de détention des titres d’une entreprise s’est amoindrie, passant de 7 ans en 1975, à 7 mois aujourd’hui[2]. Une des causes de la réduction de l’horizon de l’investissement des entreprises est due à la domination du modèle économique capitaliste axé sur la maximisation et la rentabilité à court-terme. Le développement de techniques d’investissement rapides telles que le trading haute fréquence[3] et, les solutions technologiques financières innovantes, mieux connues sous le nom de FinTech favorisent la multiplication des opérations financières dans un laps de temps court. Elles conduisent ainsi à l’expansion d’une forme de court-termisme. Enfin, la montée de l’activisme actionnarial dur des hedge funds, en Amérique du nord et en Europe, vient également relancer le débat de l’assise du court-termisme dans la gouvernance des entreprises. En somme, cette vision d’investissement se répercuteraient sur les entreprisse, au travers les politiques établies par les dirigeants dans le but de les garder attractives pour les investisseurs[4].

La seconde expression du court-termisme se manifeste à travers l’augmentation du nombre de fusions-acquisitions sur les marchés[5]. Un récent article paru dans les affaires.ca fait le constat de la diminution de longévité des entreprises québécoises cotées en bourse en raison de la croissance des fusions-acquisitions. En principe, les sociétés publiques (appelées émetteurs assujettis) au sens de la Loi sur les valeurs mobilières sont susceptibles de voir leur titres acquis par tout investisseur sur les marchés. Dans cet ordre d’idées, le Règlement 62-104 sur les offres publiques d’achat et de rachat, prévoit qu’un investisseur qui détient au moins 20 % de ses titres peut faire une offre publique d’achat (ci-après « OPA ») sur les titres d’un émetteur assujetti[6]. En réalisant une OPA, l’investisseur est en mesure de racheter les titres des autres actionnaires de sa catégorie qui désirent les lui vendre, mais, par-dessus-tout, il est en mesure d’augmenter sa position de contrôle et son pouvoir d’influence dans l’entreprise[7]. Les prises de contrôle amicales ou hostiles lancées par des actionnaires sont souvent motivées par des projets sous-jacents de fusion-acquisition entre la cible et l’initiateur ou entre la cible et une autre entreprise. Pour toutes ces raisons, les sociétés cotées québécoises peinent à survivre sur les marchés boursiers, comme en témoigne, la récente opération intervenue entre Jean Coutu et Métro, Lowe et Rona ou encore Bell et Astral.

Ainsi, si les discussions sur les effets du court-termisme ne sont pas tranchées, le constat la financiarisation des entreprises boursières nous incite à réfléchir sur les conséquences de son expansion.

[1]Yannick Clerouin, « Ce que Jean Coutu et les 100 dernières années de la Bourse nous apprennent », Lesaffaires.ca, sect. Blogues, 7 octobre 2017, en ligne :  http://www.lesaffaires.com/blogues/yannick-clerouin/ce-que-jean-coutu-et-les-100-dernieres-annees-de-la-bourse-nous-apprennent/597622 (consulté le 11 janvier 2018)

[2] Pierre-Luc Trudel, « Le court-termisme gangrène les marchés »,  conseiller.com, en ligne : http://www.conseiller.ca/nouvelles/le-court-termisme-gangrene-les-marches-64604 (consulté le 11 janvier 2018).

[3] La détention de titres au moyen de transactions effectuées par trading haute fréquence est d’environ 22 secondes. Le trading haute fréquence représente 60 % du total des transactions. Pierre Yves Gomez, « L’actionnariat en risque d’hypertension », le Monde, mars 2016, en ligne : http://www.ifge-online.org/wp-content/uploads/2016/03/2016-03-PY-Gomez-LE_MONDE_ECO.pdf (consulté le 11 janvier 2018).

[4] Michel Albouy, « Comment concilier finance et management ? », Contrepoints, 18 novembre 2016, en ligne : https://www.contrepoints.org/2017/11/18/303387-concilier-finance-management?utm_source=boutonspartage&utm_medium=SOCIAL&utm_campaign=LinkedIn (consulté le 11 janvier 2018)

[5] Michel Albouy, « Comment concilier finance et management ? », Contrepoints, 18 novembre 2016, en ligne : https://www.contrepoints.org/2017/11/18/303387-concilier-finance-management?utm_source=boutonspartage&utm_medium=SOCIAL&utm_campaign=LinkedIn (consulté le 11 janvier 2018)

[6] Voir le Règlement 62-104 sur les offres publiques d’achat et de rachat et l’Instruction générale 62-203 relative aux offres publiques d’achat et de rachat, Autorité des marchés financiers, en ligne : https://lautorite.qc.ca/fileadmin/lautorite/reglementation/valeurs-mobilieres/62-104/2016-05-09/2016mai09-62-104-vofficielle-fr.pdf et https://lautorite.qc.ca/fileadmin/lautorite/reglementation/valeurs-mobilieres/62-203/2016-05-09/2016mai09-62-203-ig-vadmin-fr.pdf (consulté le 11 janvier 2018).

[7] Pascal De guise, « Les offres publiques », JurisClasseur Québec, coll. « Droit des affaires », Valeurs mobilières, fasc. 9, Montréal LexisNexis Canada, à jour au 15 juin 2016, n°1-5.

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