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FéV
2021

La vente de la coopérative MEC en contradiction avec la volonté de ses membres

Le 14 septembre 2020, le Conseil d’administration de Mountain Equipment Co-operative (ci-après «MEC»)  a dévoilé l’existence d’une entente pour transférer la majorité des actifs de la coopérative entre les mains d’une compagnie originaire de Los Angeles, Kingswood Capital Management[1]. Il est en même temps révélé que MEC était devenue insolvable et que la coopérative était, dans les faits, sur le bord de la faillite.  Les membres, outrés de ne pas avoir été consultés, ont tenté le tout pour s’opposer à cette vente[2]. Le mouvement Save MEC-Sauvons MEC a donc vu le jour et les membres ont recueilli 100 millions de dollars avec l’objectif de conserver le contrôle de la coopérative. Ce montant est cependant insuffisant pour contrer l’offre d’achat de 150 millions de dollars faite par la compagnie américaine[3].

Les membres reprochent de surcroît au CA de MEC un manque de transparence sur les problèmes financiers de la coopérative, une négligence des droits des quelque 5 millions de membres de la coopérative ainsi qu’un manquement à l’obligation de les consulter avant de se départir des actifs de la coopérative[4].

 Qu’est-ce que MEC?

MEC est une personne morale constituée en coopérative de consommateurs sous la Loi de la Colombie-Britannique, la Cooperative Association Act[5].  Pour mieux comprendre la structure juridique de l’entreprise britanno-colombienne, il est possible de la relier à ce qu’il existe au Québec en matière de coopérative. Les principes généraux de la Loi sur les coopératives[6] du Québec et de la Cooperative Association Act[7] de la Colombie-Britannique sont en effet très similaires surtout en ce qui a trait à la vente des actifs.

Quelques notions contextuelles

La coopérative est ainsi présentée dans la Loi sur les coopératives[8] et dans la Cooperative Association Act[9] comme une entreprise avec une mission et une raison d’être qui se tournent vers les besoins des membres, le développement du milieu et le bien-être collectif. Les surplus doivent être réinvestis au bénéfice des membres et ne peuvent pas être versés en dividende à ses membres. Le statut de coopérative entraine également plusieurs contraintes relatives à la gestion de cette entreprise en comparaison à une société par actions. Tout d’abord, la coopérative exige la présence d’une structure démocratique qui permet aux membres de s’impliquer dans sa direction[10]. Tant la loi québécoise que celle britanno-colombienne imposent ainsi la tenue d’assemblées générales qui offrent la possibilité aux membres présents de se prononcer. Les pouvoirs des membres sont également considérables sous les deux lois. Par exemple, la Loi sur les coopératives octroi l’ensemble des pouvoirs d’administration des affaires de la coopérative au conseil d’administration

De plus, les deux lois sont claires en ce qui concerne l’aliénation ou la liquidation des biens de l’entreprise : les membres doivent être consultés. La Loi sur les coopératives[13] exige qu’un règlement soit adopté aux trois-quarts des voix exprimées par les membres présents à une assemblée générale. La Cooperative Association Act[14] exige qu’une résolution spéciale soit adoptée afin d’autoriser le conseil d’administration de procéder à la vente des actifs de la coopérative. Définie à l’article 1 de la loi britanno-colombienne, la résolution spéciale requiert une majorité d’au moins deux tiers des voix de tous les membres qui ont le droit de vote.

Les aboutissements

Dans les faits, l’accord des membres n’a jamais été requis. En effet, MEC s’est placée sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (ci-après «LACC»)[15]. Pour ce faire, une entreprise doit être insolvable et avoir des dettes d’au moins cinq millions de dollars[16]. Cette Loi permet d’intenter des procédures de liquidation et de restructuration, tout comme la Loi sur la faillite et l’insolvabilité[17], mais pour des situations de grande envergure et plus complexes[18]. Une fois sous sa protection, cette loi fédérale met le contrôle de l’entreprise entre les mains de la cour supérieure de chaque province[19] ainsi que de ses créanciers[20]. Cette loi interdit à la compagnie de disposer de ses actifs hors du cours normal de ses activités sans l’autorisation du tribunal. De plus, il est également expressément mentionné que le tribunal peut accorder l’autorisation nécessaire sans qu’il ait besoin d’obtenir l’accord des actionnaires de l’entreprise débitrice[21]. Dans le jugement rendu par la Cour suprême de la Colombie-Britannique, il est ainsi possible de constater que l’obligation de consultation des membres établie par la Cooperative Association Act a été soulevée; malheureusement le tribunal conclut que cela ne le liait pas compte tenu de la disposition susmentionnée de la LACC[22]. Le tribunal a ainsi autorisé la vente, privatisant ainsi la coopérative. L’entreprise MEC fut alors dépouillée de la majorité de ses actifs et n’est maintenant rien de plus qu’une coquille vide possédant plus de 5 millions de membres[23]. L’acquisition fut complétée en date du 30 octobre 2020[24].

Cet événement a évidemment été marquant au Québec, tout comme dans le reste du Canada. La forte mobilisation des membres pour tenter de contrer la vente de cette coopérative en est l’illustration. Gaston Bédard, président-directeur général du Conseil Québécois de la Coopération et de la Mutualité (ci-après «CQCM»), mentionne que ce genre d’incident a moins de chance de se produire au Québec, compte tenu de la clarté de la Loi sur les coopératives concernant l’obligation de consulter ses membres avant de procéder à des changements majeurs[25]. Finalement, force est de constater que tel était également le cas avec la Cooperative Association Act. La révision de la Loi sur les coopératives sur laquelle le CQCM travaille pourra peut-être apporter plus de sécurité aux membres des coopératives québécoises.

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[1] « Mountain Equipment Co-operative » (dernière consultation le 22 décembre 2020), en ligne : Alvarez & Marsalhttps://www.alvarezandmarsal.com/MEC >.

[2] David Smart et Brandon Pullan, « The Fight to Keep MEC a Canadian Co-op », Gripped (22 septembre 2020), en ligne : < https://gripped.com/profiles/the-fight-to-keep-mec-a-canadian-co-op/ >.

[3] Marie-Ève Fournier, « Les membres de MEC ont recueilli 100 millions pour en garder le contrôle », La Presse (1er octobre 2020), en ligne : < https://www.lapresse.ca/affaires/entreprises/2020-10-01/les-membres-de-mec-ont-recueilli-100-millions-pour-en-garder-le-controle.php >.

[4] François Desjardins, « MEC passera à des intérêts privés américains, tranche un tribunal », Le Devoir (3 octobre 2020), en ligne : < https://www.ledevoir.com/economie/587131/commerce-de-detail-mec-passera-a-des-interets-prives-americains-tranche-un-tribunal >.

[5] Cooperative association act, SBC 1999, c 28.

[6] Loi sur les coopératives, RLRQ c C-67.2.

[7] Supra note 5.

[8] Supra note 6, arts 3-4.

[9] Supra note 5, art 8.

[10] « Guide d’information sur les coopératives », (date de dernière modification le 27 août 2018), en ligne : Gouvernement du Canadahttps://www.ic.gc.ca/eic/site/106.nsf/fra/h_00073.html#cb >.

[11] Supra note 5, art 89 al 1.

[12] Ibid, al 2.

[13] Ibid al 3.

[14] Supra note 5, art 71 (2).

[15] Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, LRC 1985, c 36.

[16] Ibid, arts 2 (1) et 3 (1).

[17] Loi sur la faillite et l’insolvabilité, LRC 1985, c B-3.

[18] James Gage, « Faillite et restructuration » (dernière consultation le 22 décembre 2020), en ligne : McCarthy < https://marcomm.mccarthy.ca/pubs/Faillite%20et%20restructuration.pdf >.

[19] Supra note 15, art 2 (1).

[20] Ibid, art 6 (1).

[21] Ibid, art 36 (1).

[22] Mountain Equipment Co-Operative (Re), 2020 BCSC 1586 aux para 131-134.

[23] Sophie-Emannuelle Chebin et Myriam Michaud, « MEC: la fin d’un rêve coopératif », Les Affaires (7 octobre 2020), en ligne : < https://www.lesaffaires.com/blogues/jeux-de-societes/mec-la-fin-d-un-reve-cooperatif/620207 >.

[24] Kingswood Capital Management, « Kingswood Capital Management Completes Acquisition of MEC », Kingswood Capital Management (30 octobre 2020), en ligne : < http://kingswood-capital.com/kingswood-capital-management-completes-acquisition-of-mec/ >.

[25] François Desjardins, « La saga entourant la vente de MEC se poursuit en cour», Le Devoir (28 octobre 2020), en ligne : < https://www.ledevoir.com/economie/588586/commerce-de-detail-la-saga-entourant-la-vente-de-mec-se-poursuit-en-cour >.

Andrei Moraru est un étudiant de troisième année du baccalauréat en droit de l'Université Laval. Il est intéressé particulièrement par le droit des affaires et fiscal.

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