03
JUIN
2014

Université d’été 2014 : Que les concurrents se gardent de comploter contre les consommateurs !

La journée « concurrence » qui s’est tenue le mercredi 28 mai lors de l’école d’été sur la criminalité économique, organisée par le Centre d’études en droit économique de l’Université Laval, méritait un bref retour sur ses temps forts !

Me Denis Gascon a introduit la journée en précisant que le droit de la concurrence était d’abord criminel jusqu’en 1960 (Code criminel) au Canada. Ce n’est qu’en 1986 que le domaine de la concurrence a évolué vers une « civilisation ». Le droit de la concurrence canadien a avant tout une histoire criminelle. Les cartels sont la pierre angulaire du droit de la concurrence. Il a affirmé que « les cartels sont bel et bien vivants au Canada ». Il a évoqué le point de vue du juge Crampton dans Maxzone qui demandait que les cartels soient traités comme un vol et une fraude[1].

Le professeur Diawara, membre de la Faculté de droit de l’Université Laval et codirecteur du CÉDÉ, a ensuite proposé une étymologie du mot « cartel » afin de poser le sujet. Le mot cartel est dérivé de l’allemand « Kartell » et qualifie l’entente dans le domaine économique et industriel. C’est une collusion économique, industrielle et commerciale.

La première loi canadienne visait spécifiquement les cartels. Son origine était essentiellement criminelle. La cartel se fait « au détriment du consommateur et de la société » précise le Professeur Diawara. Le pouvoir d’achat des consommateurs en est atteint directement : c’est comme une escroquerie ou un vol. Le cartel augmente les prix à l’achat : « Ce vol indirect est ici illustré par une décision récente de la Cour suprême concernant le droit des victimes de cartels de se faire indemniser »[2]. Également, il y a une convergence dans cette lutte contre les cartels. L’OCDE intervient depuis les années 90 dans cet objectif.

L’article 45 L.c. et l’article 90.1 de la même loi visent les cartels. Le premier est une disposition qui interdit per se (automatiquement) certaines ententes, présumées nocives, alors que l’article 90.1 vise des accords qui nécessitent un bilan concurrentiel pour savoir si l’entente est nocive, ce qui suppose une mesure du pouvoir de marché de chaque entreprise[3]. Il faut un effet sensible sur la concurrence rappelle le Professeur Diawara.

Pour qu’il y est entente, il faut des entreprises indépendantes, il doit y avoir une volonté d’agir en commun peu importe que l’entente ait été mise en œuvre ou pas : M. Diawara évoque la difficulté des parallélismes de comportement.

Le professeur termine sa présentation en rappelant qu’il existe des moyens de défense comme les accords de recherche et développement qui sont bénéfiques pour l’économie. Il faut aussi se soucier des acheteurs indirects (suite à la trilogie de la Cour suprême à ce sujet en octobre 2013) et de l’effet d’ombrelle des prix de cartel qui peut faire l’objet d’une étude doctrinale importante.

« Nous sommes choyés au Québec avec les cartels ! » lance Me Lefèbvre, avocat chez Norton Rose Fullbright, lorsqu’il débute sa présentation sur les types de cartels.

Avant le 12 mars 2010, la nécessité de prouver une restriction indue de la concurrence sous l’article 45, rendait le test de concurrence très difficile à prouver pour le Ministère public. Dès lors, le législateur a voulu le retirer de la Loi. Demeure les « hardcore cartel » réputés comme des infractions per se sous l’article 45.

Il nous a été rappelé qu’en ce qui concerne les employés de l’entreprise, le Code criminel s’applique. Me Lefèbvre doute que les amendes soient vraiment dissuasives en matière de complots. Pour les peines d’emprisonnement, la peine maximale est de 14 ans de prison. Mais personne n’est vraiment incarcéré. En revanche, la Loi sur la sécurité des rues et des communautés[4] en vigueur depuis le 13 mars 2012, empêche les juges de prononcer le sursis de manière discrétionnaire pour les peines de 14 ans de prison : ceci va resurgir sur le programme de clémence et d’immunité. La Loi sur l’intégrité en matière de contrats publics[5] au Québec empêche les entreprises de soumissionner si elles ont été déclarées coupables de complot ou de truquage des offres. Le pendant existe au fédéral avec le Cadre d’intégrité de Tavaux publics et services gouvernementaux Canada[6].

Marie-Claude Touchette, agente au Bureau de la concurrence, nous a rappellé l’importance de la dénonciation des pratiques dans le lancement des enquêtes, que ce soit par un citoyen ordinaire ou par le participant au programme d’immunité. L’agente nous a enrichi de nombreuses anecdotes permettant de mesurer la fonction du Bureau de la concurrence.

« On est pas les avocats des enquêteurs. On ne représente pas la police, on vous représente ; on représente l’intérêt public » a rappelé Luc Boucher, Avocat général à la Direction des poursuites pénales du Canada, dans son intervention, insistant beaucoup sur son autonomie dans la poursuite des affaires. M. Boucher a expliqué aussi son rôle dans les programmes d’immunité ou de clémence.

 

L’après-midi s’est ouverte sur la réglementation fédérale relative aux représentations fausses ou trompeuses par une présentation de Geneviève Dugré, agente au Bureau de la concurrence à la direction des pratiques loyales.

Par la suite, M. Benjamin Lehaire, doctorant et chargé de cours à l’Université Laval, a présenté un exposé sur le recours privé des victimes de pratiques anticoncurrentielles, sujet sur lequel il réalise sa thèse de doctorat. M. Lehaire a présenté le recours de l’article 36 L.c. et a expliqué son application au Québec notamment de manière conjointe avec l’article 1457 du C.c.Q. L’objectif était de mettre en contexte la question des recours des acheteurs indirects suite à la trilogie de la Cour suprême d’octobre 2013. Il a pu ainsi expliquer au public les difficultés relatives au lien de causalité et au risque de double recouvrement dans ce type d’action.

M. Pierre-Claude Lafond, professeur à l’Université de Montréal, a clôturé la journée par une présentation magistrale sur le thème des communications trompeuses. La présentation de M. Lafond visait principalement les pratiques commerciales trompeuses pour le consommateur sous le régime de la Loi sur la protection du consommateur au Québec.

Cette journée sur la concurrence a été riche en enseignement et a pu faire découvrir aux étudiants présents une matière du droit peu connue dans les facultés de droit.


[1] R. c. Maxzone Auto Parts (Canada) Corp., (2012) CF 1117, au par. 56 : « Par conséquent, les ententes de cartel injustifiables telles que les accords de fixation des prix doivent être traitées au moins aussi sévèrement, sinon plus, que la fraude et le vol ».

[2] Pro-Sys Consultants Ltd. c. Microsoft Corporation, 2013 CSC 57 ; Sun-Rype Products Ltd. c. Archer Daniels Midland Company, 2013 CSC 58 et Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59.

[3] Sur cette question, v. Karounga DIAWARA, Le contrôle de la puissance de marché : Contribution à une approche juridique du marché, Cowansville, Éd. Yvon Blais, 2011.

[4] L.C. 2012, ch. 1.

[5] 2012, chapitre 25.

[6] En ligne : <http://www.tpsgc-pwgsc.gc.ca/ci-if/ci-if-fra.html>.

Benjamin Lehaire, LL. D. (Université Laval) est docteur en droit privé et professeur en droit des affaires à l’École des sciences de l’administration de la TELUQ (Université du Québec). Il a obtenu son doctorat en cotutelle de thèse France-Québec avec l’Université de La Rochelle. Sa thèse portait sur l’action en responsabilité civile des victimes de pratiques anticoncurrentielles dans une approche comparative Canada/Europe. En 2015, il reçoit pour sa thèse une mention spéciale du jury lors du prix Jacques Lassier de la Ligue internationale de droit de la concurrence (Suisse). Il est l'auteur d'un ouvrage sur l'action en concurrence déloyale publié aux éditions Yvon Blais. Le professeur Lehaire participe également aux JurisClasseur du Québec. Ses recherches se centrent principalement sur le droit de la concurrence et ses liens avec le droit de la responsabilité civile et la protection des consommateurs. Ses travaux lui ont valu plusieurs subventions de recherches, notamment de la Fondation pour la recherche juridique.

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