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JUIL
2014

Les étudiants du cours DRT-6056 s’invitent (encore) : focus sur la responsabilité environnementale des entreprises minières canadiennes

Le billet proposé aujourd’hui est original. Il vise à partager les résultats d’un travail réalisé par les étudiants de mon cours de Gouvernance de l’entreprise (DRT-6056). Dans le cadre de ce cours dispensé à la Faculté de droit, j’ai bénéficié du Programme d’appui au développement pédagogique 2013-2014 et y ait développé un projet intitulé : « Transformation de l’approche pédagogique du cours DRT-6056 pour un apprentissage actif ». Ce programme a permis la mise en place de méthodes d’apprentissage innovantes destinées à stimuler l’intérêt des étudiants. Il a ainsi été proposé aux étudiants non seulement de mener des travaux de recherche sur des sujets qui font l’actualité en gouvernance de l’entreprise, mais encore d’utiliser un format original permettant la diffusion des résultats. S’appuyant sur des blogues partenaires du cours, le présent billet expose le résultat des recherches menées par mesdames Véronique Rocheleau-Brosseau et Camille Audemar d’Alençon. Ce travail porte sur le délicat problème de la responsabilité environnementale des entreprises minières canadiennes et ses impacts en termes de gouvernance d’entreprise. Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’ai pu en prendre à le corriger.

 

Ivan Tchotourian

 

Retour sur la responsabilité environnementale des entreprises minières à l’étranger: quelles perspectives au regard des failles du droit criminel canadien?

Goldcorp : un chef de fil du développement durable au Québec

Goldcorp, entreprise canadienne ayant son siège social basé à Vancouver, figure parmi les « grands producteurs d’or à la croissance la plus rapide au monde, avec des mines au Canada, aux États-Unis, au Mexique et en Amérique centrale et du Sud »[1]. Le 3 mars 2014, lors d’une conférence annuelle de la Prospectors and Developers Association of Canada ayant eu lieu à Toronto et organisée par l’ancienne ministre des Ressources naturelles, Martine Ouellet, Goldcorp annonce son dépôt de garantie financière d’une valeur de « 40 millions de dollars qui serviront à restaurer le site, situé à 350 kilomètres au nord de Chibougamau »[2]. En dépit d’une bonne pratique en matière de développement durable au Canada, dans quelle mesure le droit canadien ne permet-il pas de garantir ces bonnes pratiques de gouvernance à l’étranger?

État de la législation canadienne

En droit criminel canadien, une application extraterritoriale des dispositions juridiques est possible. Pour ce faire, un lien de fait doit exister entre le Canada et l’infraction commise.[3]  Par exemple, « si l’activité se déroule dans une large mesure à l’extérieur du Canada, mais qu’une partie importante de l’infraction en question a été perpétrée au Canada »[4], un « lien réel et substantiel » peut alors être établi et aboutir à des poursuites. En février 2009, un projet de loi C-300 concernant la responsabilisation des sociétés à l’égard de leurs activités minières, pétrolières ou gazières dans les pays en développement avait été proposé au Parlement canadien.[5] L’objectif principal de cette loi visait à élargir la compétence extraterritoriale du Canada afin de sanctionner les entreprises ayant leur siège social au Canada qui commettaient, entre autres, des violations environnementales à l’étranger. Néanmoins, ce projet de loi fut défait par six voix.[6] Il est aussi important de mentionner que l’année 2009 correspond à l’adoption par le gouvernement canadien de la Stratégie de responsabilité sociale des entreprises pour les sociétés extractives Canadiennes présentes à l’étranger  laquelle se base principalement sur des lignes directrices et non sur des normes contraignantes de droit.[7]  

Les lacunes du droit canadien

L’une des principales lacunes du droit criminel canadien est l’absence d’une compétence extraterritoriale effective. La nécessité d’un « lien réel et substantiel » restreint de façon importante la compétence du Canada à poursuivre des entreprises canadiennes ayant commis des crimes environnementaux à l’étranger. Le projet de loi C-300 aurait été un bon premier pas afin d’étendre sa compétence dans ces situations. Par ailleurs, la stratégie du Canada sur la responsabilisation des entreprises axée sur des principes d’adhésion volontaire constitue une seconde lacune importante. Plusieurs auteurs s’entendent sur le fait que les clauses de cette stratégie sont insuffisantes afin d’assurer une responsabilisation des entreprises ainsi qu’une protection des normes environnementales à l’étranger.[8] Le cas de Goldcorp semble être un bon exemple des failles présentes dans le droit canadien. En effet, alors que la compagnie fut souvent critiquée pour des présumées violations commises notamment en Amérique latine, elle semble aujourd’hui félicitée au Canada pour ses initiatives entreprises en développement durable.

Vers une meilleure gouvernance d’entreprise ?

Dans sa politique sur l’environnement, Goldcorp s’engage notamment à promouvoir le développement et l’implantation d’un système réel et effectif pour minimiser les risques notamment en ce qui à trait à l’environnement[9]. L’ancienne ministre Martine Ouellet vente alors les mérites de cette multinationale, véritable « citoyen corporatif responsable »[10]. Par ailleurs, elle souligne que « les entreprises ont « compris » que la modernisation de la Loi sur les mines était obligatoire, après des années de tentatives de réforme »[11]. Goldcorp a d’ailleurs fait valoir pendant la conférence qu’elle est un leader en développement durable, et qu’elle constitue un bon exemple à suivre[12]. Dès lors, il semble que la modernisation de la Loi sur les mines permet de fournir un cadre juridique contraignant puisque l’article 232.7.1 contraint les entreprises à réaménager et restaurer leur site trois années suivant la cessation de leurs activités.[13]. L’industrie minière étant au cœur de son économie, le Canada devrait « devenir un chef de file dans la lutte contre les problèmes sociaux et environnementaux qui caractérisent si souvent l’industrie »[14], aussi bien au niveau national qu’à l’étranger. A fortiori, il est préférable que le Canada élargisse son champ d’intervention extraterritoriale. Il est donc primordial que la pays change de stratégie pour imposer des normes plus strictes de gouvernance de ses entreprises extractives afin que celles-ci n’abaissent pas ses principes de gouvernance dans un pays faisant preuve de laxisme au niveau des normes environnementales. Tout comme l’auteur Maniroba le souligne, le principe de territorialité ne doit pas être interprété de manière restrictive « au détriment de la qualité de l’environnement »[15].

 

Véronique Rocheleau-Brosseau

Camille Audemar d’Alençon

Anciennes étudiantes du cours DRT-6056 Gouvernance d’entreprise


[1] Suzanne Dansereau, « Réhabilitation de la mine Éléonore: Goldcorp verse 40 M$ à Québec », Les affaires, 3 mars 2014, en ligne: http://www.lesaffaires.com/secteurs-d-activite/ressources-naturelles/rehabilitation-de-la-mine-eleonore-goldcorp-verse-40-m-a-quebec/566844, (page consultée le 30 mars 2014).

[2] Alexandre Shields, « Québec vend les mérites de Goldcorp », Le Devoir, 4 mars 2014, en ligne : http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/401638/quebec-vante-les-merites-de-goldcorp, (page consultée le 30 mars 2014).

[3] Gouvernement du Canada, « Réponse du gouvernement au quatorzième rapport du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce internationale », Gouvernement du Canada, en ligne : http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?Language=F&Mode=1&Parl=38&Ses=1&DocId=2030362&File=0, (page consultée le 30 mars 2014).

[4] Gouvernement du Canada, « Réponse du gouvernement au quatorzième rapport du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce internationale », Gouvernement du Canada, en ligne : http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?Language=F&Mode=1&Parl=38&Ses=1&DocId=2030362&File=0, (page consultée le 30 mars 2014)

[5] Loi sur la responsabilisation des sociétés à l’égard de leurs activités minières, pétrolières ou gazières dans les pays en développement, projet de loi C-300 (première lecture) (9 février 2009), 2ième sess., 40e légis. (Ottawa). 

[6] Radio-Canada, « Le projet de loi C-300 défait par six voix », Radio-Canada, 27 octobre, en ligne : http://www.radio-canada.ca/nouvelles/Politique/2010/10/27/001-miniere_responsabilite.shtml, (page consultée le 30 mars 2014).

[7] Gouvernement du Canada, « Renforcer l’avantage Canadien : Stratégie de responsabilité sociale des entreprises (RSE) pour les sociétés extractives Canadiennes présentes à l’étranger », Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada (mars 2009), en ligne : http://www.international.gc.ca/trade-agreements-accords-commerciaux/topics-domaines/other-autre/csr-strat-rse.aspx?lang=fra  Stratégie du Canada, (page consultée le 30 mars 2014).

[8] Catherine Coumans, « L’impunité des minières canadiennes à l’étranger », Revue Relations, no739 (mars 2010), en ligne : http://www.cjf.qc.ca/fr/relations/article.php?ida=293&title=limpunite-des-minieres-canadiennes-a-letranger, (page consultée le 30 mars 2014) ; voir aussi Conseil canadien pour la coopération internationale, « Note d’information : L’exploitation minière », Conseil canadien pour la coopération internationale, (12 avril 2012), en ligne : http://www.ccic.ca/_files/fr/working_groups/apg_2012-04-12_mining_note.pdf, (page consultée le 30 mars 2014). 

[9] Golcorp, « Environment & Sustainability Policy », Goldcorp, en ligne : http://www.goldcorp.com/English/About-Us/Governance/Environment-and-Sustainability-Policy/default.aspx, (page consultée le 30 mars 2014).

[10] Alexandre Shields, « Québec vend les mérites de Goldcorp », Le Devoir, 4 mars 2014, en ligne : http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/401638/quebec-vante-les-merites-de-goldcorp, (page consultée le 30 mars 2014).            

[11] Alexandre Shields, « Québec vend les mérites de Goldcorp », Le Devoir, 4 mars 2014, en ligne :   http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/401638/quebec-vante-les-merites-de-goldcorp, (page consultée le 30 mars 2014).

[12] Goldcorp, « Goldcorp Sets Aside Full Rehabilitation Cost for its State of the Art Éléonore Gold Mine un Northern Quebec », Goldcorp, 3 mars 2014, en ligne : http://www.goldcorp.com/English/Investor-Resources/News/News-Details/2014/Goldcorp-Sets-Aside-Full-Rehabilitation-Cost-for-its-State-of-the-Art-lonore-Gold-Mine-in-Northern-Quebec/default.aspx,  (page consultée le 30 mars 2014).

[13] Loi sur les mines, L.R.Q., c M-13.1, art. 232.7.1 : « Les travaux de réaménagement et de restauration doivent débuter dans les trois ans suivant une cessation des activités d’exploitation. Toutefois, le ministre peut exceptionnellement exiger que les travaux débutent avant ce délai ou autoriser un délai supplémentaire ».

[14] Conseil canadien pour la coopération internationale, « Note d’information : L’exploitation minière », Conseil canadien pour la coopération internationale, (12 avril 2012), en ligne : http://www.ccic.ca/_files/fr/working_groups/apg_2012-04-12_mining_note.pdf, (page consultée le 30 mars 2014). 

[15] A.M. Maniroba, « Entreprises multinationales et criminalité environnementale transfrontalière : applicabilité du droit pénal canadien », Cowansville, Editions Yvon Blais, 2011, p. 266.

Dominique Mannella est inscrit au doctorat sous la direction du professeur Ivan Tchotourian. Dominique Mannella est titulaire d’un baccalauréat en droit, ainsi que d’un Master of Arts (M.A.) de l’Université de Dublin Trinity College (Irlande). Il a également complété des études de droit à l’Université de Montréal (Canada) et à l’Université de Bologne (Italie). Par ailleurs, il est titulaire d’une maîtrise en droit des valeurs mobilières et réglementation des marchés financiers américains et internationaux (LL.M.) obtenue au Georgetown University Law Center à Washington D.C. (États-Unis). Durant son baccalauréat, Dominique Mannella a réalisé un stage de recherche à l’Ambassade du Canada de Dublin et a collaboré à la revue de droit intitulée Trinity College Law Review. Il a également travaillé à l’U.S. Securities and Exchange Commission Division of Enforcement durant sa maîtrise, œuvrant principalement dans l’équipe chargée de détecter, d’enquêter et de faire sanctionner les infractions aux lois fédérales sur les valeurs mobilières. Dominique Mannella a pratiqué le droit en litige commercial dans les cabinets New-Yorkais Tosolini & Lamura LLP et Bracken Margolin Besunder LLP et a passé les examens du Barreau de New York en 2013. Membre du CÉDÉ, il mène ses recherches dans les domaines du blanchiment d’argent (sous un angle préventif) et de la gouvernance d’entreprise. Il travaille actuellement comme auxiliaire de recherche et d’enseignement pour le professeur Ivan Tchotourian et a à son actif plusieurs publications. Il s'est récemment vu remettre une prestigieuse bourse du Fonds pour l'éducation et la saine gouvernance de l'Autorité des marchés financiers ainsi qu'un stage pour la poursuite de ses études au doctorat.

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