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AOûT
2015

Propositions d’actionnaires au Canada et aux États-Unis en 2013 et 2014 en matière de rémunération : (billet invité de Sabrina Carlier et Alice Yanni, étudiantes du cours DRT-7022)

Le séminaire à la maîtrise de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022) dispensé à la Faculté de droit de l’Université Laval entend apporter aux étudiants une réflexion originale sur les liens entre la sphère économico-juridique, la gouvernance des entreprises et les enjeux sociétaux actuels. Le séminaire s’interroge sur le contenu des normes de gouvernance et leur pertinence dans un contexte de profonds questionnements des modèles économique et financier. Dans le cadre de ce séminaire, il est proposé aux étudiants depuis l’hiver 2014 d’avoir une expérience originale de publication de leurs travaux de recherche qui ont porté sur des sujets d’actualité de gouvernance d’entreprise. C’est dans cette optique que s’inscrit cette publication qui utilise un format original de diffusion : le billet de blogue. Cette publication numérique entend contribuer au partager des connaissances à une large échelle (provinciale, fédérale et internationale). Le présent billet expose le résultat des recherches de Mmes Sabrina Carlier et Alice Yanni. Leur travail a porté sur les propositions des actionnaires dans le domaine de la rémunération et leurs impacts en termes de bonne gouvernance. Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’ai pu en prendre à le corriger.

 

Ivan Tchotourian

 

Ils peuvent gagner plusieurs millions de dollars par an sans jamais avoir de comptes à rendre à quiconque. Mais aujourd’hui, à l’aube du 21e siècle, la rémunération des dirigeants d’entreprise est devenue un sujet délicat. Les critiques fusent et son ampleur est de plus en plus contestée[1]. Désormais, les actionnaires tentent d’avoir leur mot à dire.

 

Un MÉDAC actif

 

Au Canada, en 2013 et 2014, le mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC) a introduit des propositions relatives à la rémunération. Elles entendent principalement défendre trois types mesures : le vote consultatif, la limitation de la rémunération et la clause de récupération de la rémunération. Tout d’abord, le vote consultatif permet aux actionnaires de se prononcer de façon non contraignante durant les assemblées générales sur la rémunération des hauts dirigeants d’entreprises publiques[2]. Ensuite, la limitation de la rémunération des chefs de la haute direction sous forme de ratio d’équité vise à plafonner les revenus de façon proportionnelle à la rémunération des employés. Enfin, l’adoption d’une clause de récupération de la rémunération a pour but de recouvrer toute forme de rémunération en cas de fraude, de négligence ou d’inconduite du dirigeant[3].

 

Retour sur une actualité

 

Dans « Trop de ‘gouvernance’, Messieurs Desmarais ? », Gilles Boivin s’intéresse au système du vote consultatif[4]. Le journaliste critique la réaction des frères Desmarais à son égard. Les deux frères s’opposent au principe. La raison ? Selon eux, les actionnaires ne sont pas compétents en la matière. Pour le journaliste, les actionnaires sont les véritables propriétaires de l’entreprise. C’est donc à eux que revient la décision.

 

Bien que le vote consultatif ne soit pas obligatoire au Canada, la majorité des grandes institutions financières canadiennes l’adoptent volontairement[5]. Aux États-Unis, depuis janvier 2011, le dispositif du Say on Pay  a été adopté via la loi « Dodd-Frank » rendant obligatoire le vote consultatif pour les rémunérations des dirigeants. Cependant, le Say on Pay  n’a pas provoqué de grand changement puisque dans les faits, les actionnaires votent rarement contre les rémunérations des dirigeants[6].

 

Au Canada, un argument en faveur du vote consultatif est néanmoins mis de l’avant. La proximité entre les dirigeants et les membres du conseil d’administration fixant leur rémunération constitue un effet de copinage néfaste dans la gouvernance. Le vote consultatif permet alors de déjouer des salaires élevés octroyés entre amis. Dans une moindre mesure, une complicité est acceptée, mais elle ne peut faire perdre aux membres du conseil d’administration leur indépendance lorsqu’ils sont amenés à déterminer la rémunération des dirigeants d’entreprises cotées en Bourse. À titre d’illustration, invoquons les cas de Robert Gratton chez Financière Power[7], de Laurent Beaudoin chez Bombardier et de John Roth chez Nortel dont les rémunérations respectives se sont élevées à environ 40 millions dollars canadiens. En réaction, des mesures garantissant l’indépendance des administrateurs en les empêchant de tisser des liens amicaux semblent pertinentes.

 

Vers la sanction de l’élection ?

 

Le journaliste suggère comme solution d’établir la retraite à l’échéance d’un mandat plutôt qu’à la survenance d’un âge. Une autre proposition consiste à renouveler partiellement la composition du conseil d’administration. Jusqu’à présent, la proposition du MEDAC relative au vote consultatif a obtenu une grande majorité d’approbations. Cependant, malgré cela, une proposition d’actionnaires n’est qu’une recommandation et ne lie en rien le conseil d’administration. Pour cette raison, l’Institutional Shareholder Services Inc. (ISS) incite depuis 2014 les actionnaires à ne pas reconduire les administrateurs si le conseil d’administration ne donne pas suite à la proposition d’actionnaires ayant pourtant obtenu une majorité des voix. L’objectif est d’assurer en pratique l’application de la proposition adoptée par les actionnaires. Ce but est d’autant plus important pour la proposition en l’espèce portant sur le vote consultatif. Le vote consultatif, bien qu’il n’ait qu’une valeur indicative et qu’il ne lie pas le conseil d’administration, s’avère fondamental. Il participe au développement dans la gouvernance d’entreprise. En effet, il donne tout d’abord accès aux parties prenantes à un dialogue social enrichi. En outre, il permet de lier la rémunération du dirigeant à sa performance. Enfin, il constitue le reflet d’une meilleure image de l’entreprise à l’égard de l’opinion publique[8].

 

La solution idéale ?

 

Mais, le Say on Pay n’est pas la panacée et a ses propres limites. Un des problèmes avec la rémunération se situe la plupart du temps au niveau des différentes classes d’actions. En pratique, une première classe d’actions accorde un vote, tandis que l’autre classe en octroie dix fois plus. Le contrôle octroyé par la seconde catégorie d’actions est alors difficile à contrer, surtout si ces actions sont octroyées à des administrateurs ou des dirigeants !

 

Sabrina Carlier

Alice Yanni

Étudiantes du cours de gouvernance de l’entreprise (DRT-7022)


[1] Eric Derosiers, « Riche comme … un p.-d.g. », Le Devoir, Economie, 3 janvier 2014, p. A7 ; Martin Vallières, « Encore plus de millions pour les patrons ! », La Presse Affaires, 3 mai 2013, p. 3.

[2] Amanda Biggs, « ‘Say on Pay’, les rémunérations excessives contrôlées ? » Leadingboards, 3 juin 2013.

[3] Stéphane Rousseau et Benoît Dubord, « Cinq changements à suivre en 2014 – Propositions des actionnaires et élection des administrateurs », Droit canadien des fusions et acquisitions, 5 février 2014 ; Les propositions d’actionnaires aux assemblées 2013, Mouvement d’éducation et défense des actionnaires, pp. 9 et 11, 2012 ; Propositions d’actionnaires qui seront soumises aux assemblées de neuf sociétés publiques canadiennes 2014 (outre les banques), p. 5.

[4] Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP), « Le vote consultatif sur la rémunération des dirigeants (Say on Pay) : Un pas en avant vers une meilleure gouvernance ? », Prise de position n°5, mars 2010, pp. 26 à 29.

[5] « Power ne veut pas de vote sur la rémunération », Le Devoir, 11 avril 2013.

[6] « Aux États-Unis, l’instauration du « Say on Pay » n’a pas provoqué de révolution », les Échos, 1er octobre 2012.

[7] Martin Vallières, « Rémunération accrue pour les dirigeants de Power », La Presse Affaires, 15 avril 2014, p. 8.

[8] Amanda Biggs, préc., note 2.

Dominique Mannella est inscrit au doctorat sous la direction du professeur Ivan Tchotourian. Dominique Mannella est titulaire d’un baccalauréat en droit, ainsi que d’un Master of Arts (M.A.) de l’Université de Dublin Trinity College (Irlande). Il a également complété des études de droit à l’Université de Montréal (Canada) et à l’Université de Bologne (Italie). Par ailleurs, il est titulaire d’une maîtrise en droit des valeurs mobilières et réglementation des marchés financiers américains et internationaux (LL.M.) obtenue au Georgetown University Law Center à Washington D.C. (États-Unis). Durant son baccalauréat, Dominique Mannella a réalisé un stage de recherche à l’Ambassade du Canada de Dublin et a collaboré à la revue de droit intitulée Trinity College Law Review. Il a également travaillé à l’U.S. Securities and Exchange Commission Division of Enforcement durant sa maîtrise, œuvrant principalement dans l’équipe chargée de détecter, d’enquêter et de faire sanctionner les infractions aux lois fédérales sur les valeurs mobilières. Dominique Mannella a pratiqué le droit en litige commercial dans les cabinets New-Yorkais Tosolini & Lamura LLP et Bracken Margolin Besunder LLP et a passé les examens du Barreau de New York en 2013. Membre du CÉDÉ, il mène ses recherches dans les domaines du blanchiment d’argent (sous un angle préventif) et de la gouvernance d’entreprise. Il travaille actuellement comme auxiliaire de recherche et d’enseignement pour le professeur Ivan Tchotourian et a à son actif plusieurs publications. Il s'est récemment vu remettre une prestigieuse bourse du Fonds pour l'éducation et la saine gouvernance de l'Autorité des marchés financiers ainsi qu'un stage pour la poursuite de ses études au doctorat.

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