02
AVR
2014

La protection des entreprises québécoises contre les offres d’achat hostiles : l’impact des arrêts Peoples et BCE

Ivan Tchotourian* et Dominique Mannella**

Depuis plusieurs années, le gouvernement québécois souhaite introduire dans la Loi sur les sociétés par actions du Québec (LSAQ) de nouvelles mesures législatives en vue de protéger les entreprises québécoises, notamment Rona, Couche-Tard, Osisko, et CGI, et ainsi favoriser le maintien de leur siège social au Québec. Selon Claude Séguin, vice-président principal du développement de l’entreprise et des investissements stratégiques chez CGI,  les sièges sociaux du Québec sont vulnérables. Cette prise de conscience, par un haut dirigeant d’une grande entreprise québécoise, a poussé le gouvernement à initier une réflexion[1].

Les mesures québécoises traduisent une ouverture du Québec à déterminer l’intérêt de la société en fonction de la maximisation de la valeur de l’entreprise à long terme (et non celle de la valeur actionnariale à court-terme) et de la sauvegarde des sièges sociaux au Québec. À cet égard, les décisions Peoples[2] et BCE[3] exposent bien la difficulté qu’a eue la Cour suprême du Canada à définir précisément en quoi consistait l’intérêt social de l’entreprise et la règle de l’appréciation commerciale dans un contexte où les intérêts des différentes parties prenantes sont diamétralement opposés. Cette réflexion m’amène à considérer la règle de l’appréciation commerciale[4] comme une protection essentielle pour le conseil d’administration afin d’assurer la confiance, la légitimité et la stabilité des décisions d’affaires non seulement envers leurs actionnaires mais aussi envers les parties prenantes. C’est pourquoi le gouvernement québécois veut donner aux conseils d’administration des grandes sociétés québécoises cotées en Bourse (TSX) la possibilité de se protéger contre une offre d’achat hostile[5], comme le recommande le rapport du Groupe de travail sur la protection des entreprises québécoises[6]. Le Groupe de travail recommande notamment: (1)  d’adopter un traitement fiscal plus avantageux sur les gains réalisés sur les options d’achat, qui font partie de la rémunération des hauts dirigeants de société, de manière à ce qu’il soit plus favorable qu’ailleurs au Canada, (2) de reporter l’imposition du gain en capital lors de la transmission de la propriété d’une société d’une génération à une autre, et (3)  d’accorder des reports d’impôt favorisant la détention d’action d’une société par ses employés[7]. Si ces mesures sont proposées dans le but d’assurer la pérennité des entreprises québécoises, il demeure que cette pérennité ne demeure qu’un moyen et non une fin en soi destinée à un objectif plus global de favoriser l’économie d’ici. À la lumière des nombreuses offres d’achats hostiles américaines, nous pouvons constater que l’intérêt d’une société varie selon les pays, les cultures et les régimes juridiques. Or, dans un contexte québécois, les opinions divergent comme nous avons pu le constater dans les affaires Rona et Osisko[8].

En conclusion, le gouvernement québécois doit prendre position et légiférer en la matière, mais il se doit de le faire tout en respectant les principes juridiques déjà bien établis par les arrêts Peoples et BCE. La question demeure ouverte quant à savoir si le gouvernement du Québec devrait  donner le pouvoir aux conseils d’administrations de refuser les offres publiques d’achats hostiles.

 

*Ivan Tchotourian Professeur, Faculté de droit, Université Laval.

** Doctorant, Faculté de droit, Université Laval.


[2] Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise, [2004] 3 R.C.S. 461, 2004 CSC 68.

[3] BCE Inc. c. 1976 Debentureholders, [2008] 3 S.C.R. 560, 2008 SCC 69.

[5] Comme le recommande le rapport du Groupe de travail sur la protection des entreprises québécoises. Voir l’adresse Internet suivante : https://www.grdsf.ulaval.ca/sites/grdsf.ulaval.ca/files/rapport_fr_gtpeq.pdf.

Dominique Mannella est inscrit au doctorat sous la direction du professeur Ivan Tchotourian. Dominique Mannella est titulaire d’un baccalauréat en droit, ainsi que d’un Master of Arts (M.A.) de l’Université de Dublin Trinity College (Irlande). Il a également complété des études de droit à l’Université de Montréal (Canada) et à l’Université de Bologne (Italie). Par ailleurs, il est titulaire d’une maîtrise en droit des valeurs mobilières et réglementation des marchés financiers américains et internationaux (LL.M.) obtenue au Georgetown University Law Center à Washington D.C. (États-Unis). Durant son baccalauréat, Dominique Mannella a réalisé un stage de recherche à l’Ambassade du Canada de Dublin et a collaboré à la revue de droit intitulée Trinity College Law Review. Il a également travaillé à l’U.S. Securities and Exchange Commission Division of Enforcement durant sa maîtrise, œuvrant principalement dans l’équipe chargée de détecter, d’enquêter et de faire sanctionner les infractions aux lois fédérales sur les valeurs mobilières. Dominique Mannella a pratiqué le droit en litige commercial dans les cabinets New-Yorkais Tosolini & Lamura LLP et Bracken Margolin Besunder LLP et a passé les examens du Barreau de New York en 2013. Membre du CÉDÉ, il mène ses recherches dans les domaines du blanchiment d’argent (sous un angle préventif) et de la gouvernance d’entreprise. Il travaille actuellement comme auxiliaire de recherche et d’enseignement pour le professeur Ivan Tchotourian et a à son actif plusieurs publications. Il s'est récemment vu remettre une prestigieuse bourse du Fonds pour l'éducation et la saine gouvernance de l'Autorité des marchés financiers ainsi qu'un stage pour la poursuite de ses études au doctorat.

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