08
NOV
2015

Environnement : quand les chemins de la personne morale et de la personne physique se croisent!

Avez-vous dit obligation fiduciaire?

L’arrêt Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise, rendu par la plus haute cour canadienne en 2004, est l’affaire par excellence en matière d’obligation fiduciaire des administrateurs d’une société par actions[1]. En effet, leur obligation est principalement envers la société par actions et non en fonction des intérêts des actionnaires de cette même société. Les juges Major et Deschamps disaient d’ailleurs «qu’il ne faut pas interpréter l’expression au mieux des intérêts de la société» comme si elle signifiait simplement «au mieux des intérêts des actionnaires»[2]. Mais qu’en est-il de l’obligation des administrateurs et dirigeants d’une entreprise vis-à-vis la population, cette société humaine dans laquelle nous vivons et évoluons chaque jour? Autrement dit, la personne morale a-t-elle une obligation élargie envers la personne physique? Plus précisément, a-t-elle une obligation et si oui, quelles en sont les frontières?

 

C’est dans le domaine de l’environnement que ces enjeux sont venus me tracasser. À la lumière de l’actualité des dernières semaines en la matière, je me suis posé la question à savoir si les administrateurs d’une compagnie avaient une responsabilité, tant morale que juridique, envers le commun des mortels. Autrement dit, la maximisation de la valeur de l’entreprise se concrétisera-t-elle, en suivant les conclusions de l’arrêt Peoples, par le respect de normes précises élaborées par un conseil d’administration en matière environnementale[3]? Je crois que la réponse à ses interrogations ne peut être qu’affirmative. Le devoir des administrateurs envers l’être humain passera par le respect des diverses dispositions législatives au niveau de l’environnement. Cela aura nécessairement des répercussions sur la collectivité.

 

À cet égard, il est intéressant de mentionner les principes élaborés par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en matière de gouvernance d’entreprise et plus particulièrement, leurs commentaires par rapport aux responsabilités d’un conseil d’administration. Entre autres, il est indiqué que ce dernier doit appliquer des normes éthiques élevées en prenant en considération les intérêts des diverses parties prenantes. Ses normes devraient être en lien avec le respect environnemental dans l’intérêt à long terme de la société par actions et par ricochet, de la collectivité[4].

 

Le récent scandale impliquant la multinationale Volkswagen en constitue la preuve. Cette multinationale est accusée de ne pas avoir respecté la législation dans le domaine environnemental en truquant plusieurs tests d’émissions polluantes par le biais d’un logiciel trompeur. Par conséquent, la compagnie se retrouve dans l’eau chaude. Cette dernière est prise dans un tourbillon de pertes financières, mais surtout de diminution de confiance de la part du consommateur, qui, rappelons-le, fait vivre toute entreprise. Dans le cas de la compagnie  allemande, on ne sait pas exactement qui aurait pris la décision néfaste ayant causé un tel impact négatif au niveau financier, mais surtout, sur l’image de marque de la compagnie. Il n’a pas été prouvé que ce sont les administrateurs ni les dirigeants qui auraient pris cette décision anti-environnement.

 

Respecter l’environnement, bon pour le portefeuille d’affaires!

Pour éviter que des cas comme Volkswagen se reproduisent, les administrateurs, ayant une obligation d’assurer les intérêts de la société[5], ont avantage à encourager les dirigeants à avoir une vision plus écologique lors de leur prise de décisions. Le fait pour une personne morale de se comporter en bon «citoyen corporatif» optimisera sa valeur et aura un impact positif sur les clients. Évidemment, plus ceux-ci seront heureux et feront confiance à l’entreprise, plus celle-ci génèrera de revenus. À cet égard, les conseils d’administration ont donc un incitatif (monétaire) de plus à considérer le respect de l’environnement comme enjeu de première importance lors du processus menant à diverses décisions. Ils ont aussi tout à gagner à établir des lignes directrices strictes, à saveur écologique, lors de l’élaboration de leurs politiques commerciales.

 

Plus concrètement, il peut être pertinent de se questionner sur le niveau de la responsabilité légale des administrateurs. Si, par exemple, un recours collectif était accueilli contre Volkswagen pour le non-respect des normes environnementales, les tribunaux pourront-ils retenir la responsabilité civile du conseil d’administration en raison d’un manquement à son obligation fiduciaire? À mon avis, tout sera une question de fait. Si le conseil d’administration s’est comporté de manière diligente et proactive en établissant des mesures préventives en tenant compte des règles environnementales, il apparaitra fort difficile de prouver une faute et ainsi, de retenir une responsabilité. Il sera, par contre, plus facile de prouver un manquement au respect des lois environnementales plutôt que de se fonder uniquement sur l’obligation fiduciaire afin de retenir une imputabilité des administrateurs.

 

Conséquemment, considérer l’environnement comme l’une des valeurs clés d’une entreprise mènera, sans aucun doute, à de saines pratiques de gestion et améliorera son image globale. La réputation d’une entreprise à l’égard du public est, de ce fait, primordiale. Les compagnies ayant une mauvaise image corporative ne survivent plus. Les citoyens sont peu tolérants et en demandent de plus en plus aux entreprises qui doivent constamment se réinventer. Ainsi, elles ne peuvent plus se permettre d’aller à l’encontre des bonnes pratiques en matière d’écologie. Une société par actions doit, de surcroit, être proactive afin de mettre en place des mesures visant à indiquer aux consommateurs qu’elle s’assure de respecter ses dites pratiques[6]. Cela maximisera la confiance des investisseurs, la pérennité ainsi que la valeur de l’entreprise[7]. En bout de ligne, c’est tout ce qui compte!

 

 


[1] Loi canadienne sur les sociétés par actions, LRC 1985, c C-44, art. 122 (1); Loi sur les sociétés par actions, RLRQ, c. S- 31.1, art. 119.

[2] Magasin à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise, 2004 CSC 68, par. 42.

[3] Ibid.

[4] Principes de gouvernement d’entreprise de l’OCDE, 2004 section VI, pp. 64-74, <http://www.oecd.org/fr/daf/ae/principesdegouvernementdentreprise/31652074.PDF>.

[5] Magasin à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise, 2004 CSC 68, par. 42.

[6] Voir à cet égard : C.J. Fombrun, Reputation: Realizing Value from the Corporate Image, Boston, Harvard University School Press, 1996.

[7] Magasin à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise, 2004 CSC 68, par. 42.

Laurence Béland-Cousineau est étudiante en troisième année au baccalauréat en droit de l’Université Laval. Bachelière en administration des affaires de l’Université du Québec à Montréal, elle est également détentrice d’un certificat en droit transnational de l’Université de Genève (Suisse). Le droit des affaires l’intéresse, plus particulièrement le droit des sociétés, les enjeux liés à la gouvernance d’entreprise et le domaine de la fusion-acquisition.

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