Définition de la sécurité alimentaire

Geneviève Parent* et Sonya Morales**

La sécurité alimentaire est un concept international, malléable et transposable dans le temps et dans l’espace. Sa réalisation nécessite une action concertée à tous les niveaux. D’abord de la responsabilité des ménages, la sécurité alimentaire devient, dans l’incapacité de ces derniers à la garantir, une préoccupation qui relève de la compétence des États modulée selon leurs ressources et capacités réciproques. Avec la récurrence des crises alimentaires, elle est devenue une inquiétude du droit international des droits de l’Homme et fait désormais l’objet d’une visibilité au sein du droit international économique. Cette responsabilité partagée fut progressivement admise par la communauté internationale en raison de la complexité du problème et de ses répercussions tous azimuts.

À l’échelle internationale, la première conceptualisation acceptée de la sécurité alimentaire résulte de la conjoncture malheureuse du plusieurs événements défavorables, à savoir une sécheresse dévastatrice au Sahel (1972-1973) occasionnant une importante famine, suivie d’une crise alimentaire mondiale entre 1973 et 1974.

Réunis à Rome dans le cadre de la première Conférence mondiale sur l’alimentation tenue sous les auspices de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) en 1974, plusieurs chefs d’État et de gouvernement ont soulevé la nécessité de définir les paramètres utiles à l’atteinte d’une sécurité alimentaire mondiale. Un concept de sécurité alimentaire se matérialisa dans l’Engagement international sur la sécurité alimentaire mondiale, fondé essentiellement sur la résolution du problème de l’insécurité alimentaire. Une définition minimale de la sécurité alimentaire a donc été adoptée, priorisant l’aide alimentaire d’urgence, le stockage des denrées et la mise en place d’un système d’alerte rapide. La sécurité alimentaire y est définie en fonction de la stabilité de l’approvisionnement des produits alimentaires de base afin d’éviter les pénuries alimentaires, tout en favorisant une progression régulière de la consommation et en atténuant les fluctuations de la production et des prix. Cette définition teintée par les réalités politiques et économiques de l’époque va indubitablement évoluer vers une version plus achevée.

En effet, alors que le concept visait des situations ponctuelles d’aide alimentaire en période de famine, il est, depuis le Sommet mondial sur l’alimentation (FAO, Rome 1996), appréhendé à travers les quatre composantes essentielles suivantes : la disponibilité des produits alimentaires, la stabilité de l’approvisionnement, l’accessibilité physique et économique ainsi que la consommation de denrées saines et suffisantes, nutritives et culturellement acceptables. La nouvelle définition de la sécurité alimentaire ajoutera aux éléments quantitatifs et économiques déjà énoncés dans la première version de 1974, des dimensions qualitatives et humaines : « la sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active ». Cette définition jumelle les deux axes de la sécurité alimentaire, soit la quantité suffisante de nourriture (« food security ») et la qualité de celle-ci (« food safety »). La définition ainsi élargie met en exergue différents éléments interférant dans le cadre d’un système alimentaire mondial que l’on qualifie de multidimensionnel. Ce système alimentaire est influencé par l’environnement naturel (conditions climatiques, morphologie des sols), la structure de la population (croissance démographique et état de santé en général), le recours à la technologie (instruments agraires, infrastructures routières) ainsi que, plus largement, l’organisation économique, politique et culturelle.

La question alimentaire a connu, à l’instar du développement des sociétés, une évolution importante allant de l’autosuffisance à l’ouverture vers les mondialisations, économique, environnementale et sociétale. De même, le concept de sécurité alimentaire a suivi la progression du concept de développement durable et, à l’heure actuelle, une politique de sécurité alimentaire efficiente doit pouvoir ordonnancer les paramètres du développement durable. Juxtaposés, ces deux concepts préconisent, en amont, une production alimentaire qui respecte la capacité de renouvellement de la ressource afin de parvenir à un niveau d’approvisionnement durable et reconnait, en aval, l’importance d’un commerce des denrées alimentaires juste et équitable qui prendrait notamment en compte les besoins des pays en développement.

L’atteinte de la sécurité alimentaire est donc un objectif qui nécessite le concours de diverses disciplines. Concernant le droit, plusieurs instruments juridiques nationaux ou internationaux participent à sa réalisation progressive et à son respect. Pour une meilleure efficience, il convient toutefois d’éviter toute sectorisation en la  matière.

Sources :

Duhaime, G., Godmaire, A. (2000), Les conditions de la sécurité alimentaire durable, Un cadre conceptuel intégré, Sainte-Foy, Québec, Université Laval, GETIC, collection des travaux de recherche.

 FAO (1996), Déclaration de Rome sur la sécurité alimentaire mondiale, Rome, FAO.

Mahiou, A., Snyder, F. (dir.) (2006), La sécurité alimentaire, Leiden, Boston, Académie de droit international de La Haye, Martinus Nijhoff.

 Shaw, J. D. (2007), World Food Security : A History since 1945, Basingstoke, Palgrave Macmillan.

*Professeure titulaire Faculté de droit, Université Laval.

**Doctorante et chargée de cours, Faculté de droit, Université Laval.

Madame Morales enseigne la sécurité alimentaire, la législation de l'agroalimentaire et les droits économiques, sociaux et culturels. Elle est aussi étudiante au doctorat. Sa thèse porte sur la qualification juridique des ressources génétiques végétales dans l’atteinte de la sécurité alimentaire durable. Ses champs de recherche sont le droit à l’alimentation, la sécurité alimentaire et la gestion des ressources de l’agrobiodiversité sous l'angle du droit international public. Elle s’intéresse aussi à l'impact des biotechnologies agricoles sur l’accès et le partage des ressources phytogénétiques.

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