Nouvelle législation favorable au sociétal pour les entreprises au Canada et au Québec : un nouveau paradigme ?

Ivan Tchotourian* et Dominique Mannella**

Comme nous le verrons, le Canada et ses provinces semblent adhérer  au virage de la responsabilité sociale des entreprises américaines[1]. À cet effet, en mars 2011, le cabinet d’avocats canadien Thompson Dorfman Sweatman LLP a préparé un rapport à l’intention  de Ressources humaines et Développement des compétences Canada quant au cadre législatif et réglementaire de l’entreprise sociale et de la finance sociale au Canada. Ce rapport édicte dix recommandations dans le but de favoriser le développement de l’entreprise sociale et de la finance sociale, notamment l’adoption d’une législation fédérale permettant la création de CIC et de L3C au Canada, et l’encouragement fait aux provinces et aux territoires à faire de même[2].

Depuis, l’État du Delaware a adopté la Benefit Corporation le 1er août 2013[3]. Si, au moment d’écrire ces lignes, il est difficile d’évaluer l’impact d’une telle adoption, il est intéressant que le législateur canadien suive de près l’application des devoirs des administrateurs et de la règle de l’appréciation commerciale auquelle va se livrer la Cour de Chancellerie du Delaware. En parallèle, la Colombie-Britannique a adopté, le 29 juillet 2013, la nouvelle forme de société par actions à vocation communautaire (Community Contribution Company) ayant pour but de contribuer à l’amélioration de la qualité de vie de la collectivité et de diminuer le montant de versement des dividendes aux actionnaires.  Ce petit pas en avant du Delaware et de la Colombie-Britannique sera-t-il un bond de géant du droit des sociétés consacrant une évolution de la norme de primauté actionnariale ? Au regard de l’intérêt social exprimé dans les nouvelles réformes législatives américaines (Constituency Statutes, Benefit Corporation[4] et Flexible Purpose Corporation), n’est-t-il pas juste d’affirmer que le devoir des administrateurs semble être plus large que celui d’agir uniquement dans l’intérêt de la société se résumant à celui des actionnaires[5] ? Cependant, comme le citent les professeurs Tchotourian et Rousseau[6] à la lumière des enseignements des arrêts Peoples[7] et BCE[8] quant à la définition et à l’application de l’intérêt social d’une société, il revient au conseil d’administration de définir celle-ci. Il nous semble que les administrateurs devront être encore plus diligents et prudents dans leur prise de décision afin de traiter les parties prenantes (incluant les actionnaires) de façon équitable et juste. L’adoption de nouvelles formes de législations sociales d’entreprises par les législateurs canadiens et provinciaux s’inspirant de la Benefit Corporation ou de la Flexible Purpose Corporation devrait-elle être faite ? Voilà une belle question…

 

*Ivan Tchotourian Professeur, Faculté de droit, Université Laval.

** Doctorant, Faculté de droit, Université Laval.


[1] Voir le commentaire d’un des auteurs sur le Blogue Contact de l’Université Laval : « L’entreprise capitaliste deviendrait-elle plus sociale ? », http://www.contact.ulaval.ca/article_blogue/lentreprise-capitaliste-deviendrait-elle-plus-sociale/.

[2] Lederman, Y. Janice. « Cadre législatif et réglementaire de l’entreprise sociale de la finance social au Canada : rapport à l’intention  de Ressources humaines et Développement des compétences Canada », Thompson Dorfman Sweatman LLP, mars 2011.

[3] Voir l’adresse Internet suivante.

[4] Voir l’adresse Internet suivante. Voir aussi sur le même sujet : Clark W. H., et Babson, E. K. « How Benefit Corporations are redefining the purpose of business corporations », William Mitchell Law Review, 2012, Vol. 38, no.2, p.817-851; Stout, L.A. « Why we should stop teaching Dodge v. Ford ?”, UCLA School of Law, Law-Econ Rsearch Paper no 07-11, 2007, cet auteur rejette la conception d’un intérêt social qui ne prendrait en compte que les actionnaires;  cf. aussi Tchotourian, I., et Mannella, D., « Quand l’État du Delaware adopte la Benefit Corporation : Mythe ou réalité de la redéfinition des devoirs des administrateurs ? », dans Journal des sociétés, novembre 2013, no 114 (18 pages).

[5] Voir l’adresse Internet suivante.

[6] Rousseau, S. et Tchotourian, I., « L’intérêt social en droit des sociétés : regards transatlantiques », Revue des Sociétés, 2009, p. 735.

[7] Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise, [2004] 3 R.C.S. 461, 2004 CSC 68.

[8] BCE Inc. c. 1976 Debentureholders, [2008] 3 S.C.R. 560, 2008 SCC 69.

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